Le Temps

Molinari, une première à la régulière

- PHILIPPE CHASSEPOT, CARNOUSTIE

Vainqueur du British Open dimanche, Francesco Molinari est le premier Italien à s’imposer en Majeur. Il l’a fait en restant calme au coeur d’une journée démente qui a vu son compagnon de partie, Tiger Woods, presque redevenir lui-même

Voilà trois jours que le parcours de Carnoustie était privé de ses défenses naturelles: pas de vent ou presque, des fairways brûlés qui roulaient comme du bitume, et des greens bien trop tendres pour ne pas se faire secouer. Puis les terres du nord du RoyaumeUni ont enfin bougé une oreille, avec des vents entre 35 et 40 km/h pour faire trébucher les meilleurs golfeurs mondiaux et tanguer leurs cerveaux jusqu’ici si sereins. Des conditions qui nous ont offert une dernière journée de golf totalement folle.

On pourrait raconter trou par trou ce dimanche à la campagne sans paraître (trop) ennuyeux, tant il s’est passé de choses pendant plus de quatre heures. Il faut d’abord rendre hommage aux vaincus qui ont su rendre cet après-midi d’été si formidable, et en premier lieu Tiger Woods.

Une gomme magique

L’événement s’est produit à 18h35, heure suisse: il occupait seul la tête d’un Majeur le dimanche pour la première fois depuis août 2009. Avec un regard déterminé comme jamais, et une gestion de parcours d’expert-comptable en temps de crise: aucun risque superflu, prise de greens en régulation et une paire de putts volés de-ci de-là pour monter à -7 après six trous.

Avec aussi une gomme magique pour effacer ses ratures, comme au 10 par exemple: prisonnier d’un bunker de fairway, a priori incapable d’atteindre le green, il produisait une accélérati­on à l’ancienne pour porter sa balle au ciel et se poser à 5 mètres du drapeau. Son dernier coup d’éclat, hélas, avant de lâcher 3 points sur les deux trous suivants pour courir après le score sans jamais le rattraper (finalement 6e à -5).

C’est bien le retour de Tiger Woods

«J’avais regardé la télé le matin, et au vu des conditions, j’étais persuadé qu’il fallait descendre à -9 pour s’imposer. Et je suis un peu énervé là, parce que j’ai eu ma chance sur les neuf derniers trous et je ne l’ai pas saisie», dit-il ensuite. Mais ce 147e British Open restera comme le tournoi fondateur de son retour, alors qu’on se demandait encore vendredi soir quand son putting redeviendr­ait conquérant. Il n’a pas oublié comment gagner, ce n’est pas possible autrement, après 14 Majeurs et 79 victoires sur le circuit américain depuis 1996. C’est une question de semaines désormais. «Ça va piquer pendant encore un moment, mais je dois remettre les choses en perspectiv­e. Quand je vois où j’en étais il y a un an et où j’en suis aujourd’hui, je suis béni.»

Tout l’inverse de Jordan Spieth, en tête samedi soir et grand favori du dimanche, vu la qualité de son putting pendant trois tours. «On sait à quel point il putte bien. Il a connu des galères cette année, il a raté des tonnes de putts et il en manquera des centaines à l’avenir. J’espère pour lui que ce ne sera pas dimanche», avait commenté son coleader et ami Kevin Kisner samedi. Triste prémonitio­n: Spieth n’a pas réussi un seul birdie de la journée, l’un des deux seuls joueurs dans ce cas, pour glisser à la neuvième place finale.

Les mérites du «boring golf»

«Boring golf», ou le golf au bout de l’ennui, est une expression américaine pour décrire la meilleure façon d’y jouer, et aussi la moins excitante: mettre la balle en jeu, puis sur le green, puis prendre un ou deux putts et on passe au trou suivant. Rien de bouleversa­nt pour le spectateur, mais une assurance tous risques que Francesco Molinari a su contracter depuis ses débuts profession­nels en 2004. Ses surnoms sont multiples: «la machine», «le laser» et d’autres sobriquets tous piochés dans le domaine de la précision.

Il n’a pas concédé un bogey du week-end, et il a effectivem­ent joué comme une machine dimanche: 16 pars, deux birdies, dont un sur le dernier trou pour empêcher quiconque de le rejoindre à -8. Il possède probableme­nt le visage le moins expressif du circuit et une résistance au stress inégalable. Pour preuve, son attitude alors qu’il jouait avec Woods, cerné par la foule et les cris de joie qui saluaient la chevauchée du Tigre: pas un battement de cils, rien ne semblait pouvoir le toucher. Ça semble presque facile le golf, dit comme ça, mais Jordan Spieth a, lui, bien remarqué l’éthique du joueur italien: «Il travaille comme personne ici. Dès que je passe devant la salle de gym, il est déjà là. Il est super appliqué au practice, il sait ce qui est bon pour lui. Ce qui lui arrive est mérité.»

Un pilier pour la Ryder Cup

Cette victoire propulse Francesco Molinari au sixième rang mondial. Certains lui reprochent d’avoir le charisme d’un chausse-pied, mais ce procès est totalement injuste. Il a su identifier ses forces et les développer. Il s’est adapté au plus complexe des sports, technique comme psychologi­que. A 35 ans, le voilà vainqueur de Majeur et pilier de l’équipe européenne de Ryder Cup. C’est un modèle pour tous, y compris pour l’Anglais Eddie Pepperell, fabuleux 6e après un dernier tour et -4, et beaucoup trop de vin le samedi soir: «D’abord, je tiens à dire que je n’étais pas si bourré que ça, je me souviens même m’être lavé les dents. Quant à Francesco, il est le type même de golfeur qu’on rêve tous de devenir.»

Ses surnoms sont multiples: «la machine», «le laser» et d’autres sobriquets tous piochés dans le domaine de la précision

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