La Roque d’Anthéron, l’incontournable pianistique
Le grand festival a débuté ce week-end pour un mois de folies à 88 touches. Retour sur l’ouverture
Pour les festivaliers classiques, un été sans La Roque d’Anthéron, c’est morne saison. L’immense parc du Château de Florans, sa coque acoustique posée sur le bassin, ses rangées de platanes multicentenaires et de gigantesques séquoias, ses va-et-vient de pianos à queue transportés par tracteurs et les dernières salves des cigales avant le début des concerts font beaucoup pour la magie des lieux.
Mais la programmation avisée de René Martin, qui a judicieusement fait évoluer le rendez-vous provençal tout au long de 38 saisons, assure encore plus la renommée internationale de la fameuse Mecque du piano. L’adaptation, le directeur la connaît et la pratique. Le succès de sa «Folle Journée», créée en 1995 à Nantes, essaime aujourd’hui jusqu’à Tokyo en passant par Bilbao, Varsovie ou Ekaterinbourg. L’homme a le génie de la formule populaire pour ces vastes événements.
Les «débutants» du clavier s’y font connaître et entrent ainsi dans le cercle des élus
A La Roque, René Martin manie aussi le degré d’exigence avec doigté. Son rendez-vous pianistique est devenu l’incontournable du genre. Quel secret? Les plus grands en guise de locomotive. Qui passe par la scène du parc de Florans fait partie de l’élite. Les jeunes et les «débutants» du clavier s’y font connaître et entrent ainsi dans le cercle des élus.
Mais ce seul concept ne suffirait pas. L’ancien week-end initial se prolonge aujourd’hui sur un mois. Le festival s’élargit d’année en année sur le territoire, avec une tournée de concerts gratuits de jeunes musiciens dans quatorze villages environnants, dont quatre capitales provençales de la culture (Eyguières, Allauch, Tarascon et Pélissanne). Des manifestations musicales d’envergure atteignent Gordes, Marseille ou Aix-en-Provence notamment. Et pour la première fois cette année, Arles s’ajoute à la liste, en collaboration avec les célèbres Rencontres photographiques.
Métissage des affiches
Et puis, bien sûr, il y a le métissage des affiches. Avec le temps, le clavier seul s’est fait accompagner d’orchestres. Master classes et Nuits du piano se sont invitées. Enfin, l’irruption du clavecin, du répertoire baroque et du jazz ont enrichi les propositions. Les grands soirs, les 2020 sièges de l’auditorium s’arrachent, et le nom de La Roque fait briller loin l’art de la musique en noir et blanc.
Jeunesse et expérience
La 38e saison s’est ouverte comme toujours au moment où s’éteignent les feux lyriques d’Aixen-Provence. Au menu du premier week-end, la spécificité du festival s’impose d’entrée de jeu. Diversité au programme. Arcadi Volodos souffrant, c’est au Moscovite Lukas Geniusas que revient l’honneur d’ouvrir les festivités dans le 3e Concerto pour piano de Beethoven, initialement prévu avec son compatriote aîné.
Du haut de ses 28 ans, le jeune pianiste déroule un jeu clair, articulé et perlé avec une tranquillité de sage. Mozart n’est pas loin. Sa façon de tricoter la partition simplement, sans effets inutiles, a quelque chose de touchant. Frappe nette et élastique, cadence charpentée, belle assise rythmique. Son Beethoven est ludique avant deux Préludes de Leonid Desyatnikov en bis, entre tendresse et feu, qui le propulsent au rang d’interprète virtuose.
Du côté de l’Orchestre philharmonique de Marseille, Lawrence Foster discipline le discours et arrondit les formes beethovéniennes. Les extraits des Créatures de Prométhée et une 6e Symphonie «pastorale» pleine de tempérance et de vitalité annoncent le lendemain, où le Tricorne de de Falla et L’apprenti sorcier de Dukas colorent vivement la soirée. Avec Michel Dalberto en soliste dans le bouillonnant le 5e Concerto «égyptien» de Saint-Saëns, c’est peu dire que le ton est énergique, les chants puissants et la technique brillante.
A l’opposé de ces envolées, David Kadouch fait figure de timide. Il faut dire que, perturbé toute la première partie par un facétieux criquet venu se loger sous le marteau d’un fa dièse aigu, le musicien n’a pas pu offrir toute la dimension de son jeu dans les pièces de Dussek, Beethoven et Chopin. Libéré de l’insecte après l’entracte, la délicatesse et l’inventivité du pianiste ont mieux pu se développer dans les Funérailles de Liszt, la 1e Sonate de Janacek, Feux d’artifice de Debussy et Winnsboro Cotton Mill Blues de l’Américain Frederic Rzewski. Sacré programme…
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