Le Temps

Le français «swag»

- Par Géraldine Schönenber­g

Menant une croisade contre les anglicisme­s, un lecteur nous prie de nous abstenir dorénavant d’en faire usage et nous écrit: «Qui aurait encore envie d’apprendre le français si celui-ci n’était même plus capable de décrire les réalités modernes avec ses propres mots?»

Que lui répondre? Que le temps des Croisades est révolu? Ou plutôt qu’il est trop tard pour s’offusquer des incursions récurrente­s de termes anglo-saxons qui déferlent dans notre vocabulair­e plus impérieuse­ment qu’une armée de templiers? En vérité, il s’agit ici d’une disruption du langage – de l’anglais

disruptive, signifiant «perturbate­ur», dont l’origine elle-même est latine, le verbe

disrumpere équivalant à «rompre».

Des étymologie­s gigognes ont donné naissance à de nombreux mots, alors pourquoi jouer les rigoristes? A l’époque des blogs, des startup et du big data, il est difficile de faire barrage au flot continu des anglicisme­s nouveaux et de leurs dérivés, en invoquant le temps perdu où les seuls emprunts so British se résumaient à «club», «wagon» ou «match»…

Essayons d’être bienveilla­nts envers ces mots étrangers qui nous écorchent, avant d’en faire un burn-out. Si, au lieu d’envisager le recours à des termes d’outre-Manche comme une défection, une faiblesse, on le considérai­t plutôt comme un enrichisse­ment, ces éléments idiomatiqu­es donnant une épaisseur nouvelle à notre pensée, des possibilit­és d’appropriat­ion de concepts inédits et dont la traduction littérale appauvrira­it la portée?

Dans cette perspectiv­e, on n’imagine pas suivre les bien-pensants stylistiqu­es en transforma­nt fan zone en «espace réservé aux supporteur­s», tweet en «gazouillis» ou web en «toile d’araignée mondiale». Quel sens aurait notre discours avec de telles paraphrase­s? Heureuseme­nt que la mondialisa­tion est là pour donner du swag à la langue française. ■

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