Le Temps

Sous le marbre noir, l’éternité de Nabokov

- Par Caroline Christinaz

Ose-t-on se l’avouer? Il y a, en arrivant devant la tombe que Vladimir Nabokov partage avec sa femme, Véra, et son fils, Dimitri, un certain désenchant­ement. Comme si cette lourde dalle de marbre noir, ornée de buissons taillés aux ciseaux et cerclée d’une haie miniature, avait un devoir: rappeler à l’admirateur de passage que la principale propriété de la mort était son austérité. «Notre existence n’est que la brève lumière d’une fente entre deux éternités de ténèbres», écrivait, en 1951, le romancier, lucide, dans Autres

rivages, son autobiogra­phie. Depuis 1977, il vit sa seconde éternité, au cimetière de Clarens (VD). Troisième allée, sur la droite, en plein centre. C’est une question de goût, direz-vous, mais lorsqu’on connaît la passion de l’auteur pour les papillons, on s’attend à trouver une tombe couverte de fleurs afin de les attirer. Si l’on se plonge dans ses écrits si riches en détails, en humour et en sensibilit­é, on aurait naïvement imaginé des ornements moins sentencieu­x que ceux qui abritent les cendres de l’auteur de l’amoral Lolita.

Le cimetière repose à l’abri de vieux séquoias. Sous leurs branches bruissent les souvenirs des disparus qu’une pierre tombale rappelle aux vivants. Celle de Nabokov est ornée de lettres d’or et regarde discrèteme­nt le Léman scintiller sous un soleil de plomb. A Montreux, il fait bon vivre. Et mourir. Nabokov l’avait compris. Eternel exilé, né à SaintPéter­sbourg, il a, dit-on, déménagé plus de quarante fois durant les soixante premières années de son existence. En 1961, lorsqu’il arrive avec son épouse sur la Riviera, il s’installe, enfin. Le Palace de Montreux offre au couple fusionnel le calme, la discrétion et le confort dont il a besoin. Et le succès de Lolita lui permet de financer le loyer sans trop d’embarras.

C’est une chute alors qu’il chassait les papillons dans les montagnes suisses, en 1975, qui entamera le déclin de l’auteur. «La vie est une grande surprise, écrivaitil. Pourquoi la mort ne serait-elle pas une plus grande?» Devant la dalle noire, on sourit alors. Peu importe l’aspect de la Grande Faucheuse, cette inconnue, les écrits de Nabokov le rendent à jamais éternel.

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