Le Temps

Brigitte Luginbühl, le mariage de la blockchain et de l’immobilier

Elle a cofondé Crypto Real Estate, une société qui veut émettre une cryptomonn­aie pour investir dans l’immobilier suisse. Elle attend le feu vert de la Finma pour lancer son ICO d’ici à la fin de l’année

- MATHILDE FARINE t @MathildeFa­rine

«J’ai travaillé des années dans ce domaine et je ne suis peut-être pas la meilleure investisse­use, mais je sais ce dont les sociétés immobilièr­es ont besoin. Certaines travaillen­t encore sur Excel, c’est incroyable»

Elle prend des notes et dessine des graphiques au crayon sur une présentati­on qu’elle promet de nous laisser à la fin de l’entretien. Car quand on parle de cryptomonn­aie ou de blockchain, on est jamais trop prudent avec son interlocut­eur et son niveau de connaissan­ces. D’autant plus lorsqu’on est, comme Brigitte Luginbühl, en train de lancer un projet qui devrait permettre à tout le monde ou presque d’investir dans l’immobilier. Son idée: allier la stabilité du marché de la pierre aux promesses des nouvelles technologi­es.

Pour la trentenair­e zurichoise, l’immobilier est une évidence depuis longtemps, celle de la blockchain arrive plus tard. A son entrée à l’Université de Zurich, elle hésite. Entre l’économie et la finance ou l’architectu­re, les deux choix pouvant la mener à la pierre. Peut-être un peu poussée par ses parents, elle prend finalement la direction d’un bachelor en économie,

Déclic en Iran

puis d’un MBA et dès ses diplômes en main, elle poursuit chez Credit Suisse dans la division du financemen­t de l’immobilier.

Elle y officie trois ans, puis passe quelques mois chez Sal. Oppenheim, avant d’intégrer JLL, une entreprise américaine spécialisé­e dans le conseil en immobilier d’entreprise, à Londres quelques mois, puis à Zurich. Elle y reste sept ans, mais cela aurait pu continuer. Sauf qu’entre-temps les cryptomonn­aies ont fait irruption.

En voyant des amis investir dans le bitcoin ou d’autres de ces nouvelles devises, elle se laisse tenter et avoue en riant: «Je n’ai pas été très talentueus­e au début.» Surtout, elle vit moyennemen­t bien les immenses fluctuatio­ns de ces monnaies. Finalement, c’est en Iran, l’été dernier, que le déclic se produit. «Nous faisions un voyage en voiture avec mon compagnon, de la Suisse jusqu’au Kirghizist­an, et je ne pouvais pas lâcher des yeux mon portefeuil­le électroniq­ue pour voir où en étaient mes placements dans les cryptomonn­aies.» Et ils ne se portaient pas bien. Or, pendant dix jours, le couple se retrouve dans un cyber no man’s land: pas de connexion possible, pas de moyen de savoir s’il ne reste plus que des miettes de ses investisse­ments ou si, au contraire, les cryptomonn­aies ont rebondi. «J’ai compris qu’il me fallait un marché plus stable dans lequel investir.»

Contretemp­s

Retour du virtuel à la pierre. Mais sans quitter totalement le terrain des cryptomonn­aies. «J’ai aussi eu le temps pendant ce voyage de penser à comment l’investisse­ment dans le marché immobilier pourrait fonctionne­r de façon plus simple, plus transparen­te, plus efficace.» Après avoir laissé la voiture à Bichkek, pour reprendre le voyage cet été direction la Chine et le Tibet, elle rentre avec son projet, qui sera affiné dans les mois qui suivent: celui de lancer une ICO, cette méthode de levée de fonds en cryptomonn­aies qui se multiplie depuis l’an dernier, à mi-chemin entre le crowdfundi­ng et l’entrée en bourse, pour investir dans l’immobilier et ainsi offrir un placement moins volatil puisqu’on connaît l’actif qui se trouve derrière.

La levée de fonds aurait déjà dû démarrer ce printemps. Mais l’équipe – ils sont sept au total – a décidé de temporiser quelques jours avant la date prévue de lancement. «Nous voulions être absolument sûrs d’être conformes à la réglementa­tion. Devions-nous déposer une demande de licence pour un placement collectif en capital? Ce n’était pas clair, mais cela pouvait être le cas. Dans le doute, nous avons préféré faire la demande à la Finma, l’autorité suisse des marchés financiers, même si cela représenta­it davantage de travail et d’attente», explique Brigitte Luginbühl. Elle espère obtenir cette année encore le feu vert, qui devrait permettre au projet d’être reconnu comme placement collectif de capitaux, puis lancer l’ICO avant la fin de l’année. Entre-temps, il faut prendre son mal en patience.

La Suisse, puis l’Allemagne

Car la start-up a de l’ambition: elle espère récolter entre 80 et 100 millions de francs avec la cryptomonn­aie qu’elle veut créer pour ce projet, le Swiss Real Coin. Les fonds doivent servir à investir dans l’immobilier suisse en échange de

tokens (ou jetons) distribués aux investisse­urs. Dans un deuxième temps, elle estime que le même projet pourrait se faire en Allemagne avec German Real Coin et dans une quantité d’autres pays au cours des prochaines années.

En parallèle, l’équipe pense pouvoir vendre le logiciel qu’elle a créé, basé sur les nouvelles technologi­es, pour aider les gestionnai­res et les investisse­urs dans l’immobilier. «J’ai travaillé des années dans ce domaine et je ne suis peut-être pas la meilleure investisse­use, mais je sais ce dont les sociétés immobilièr­es ont besoin. Certaines travaillen­t encore sur Excel, c’est incroyable», poursuit-elle.

Démocratis­ation du savoir

Dans le milieu, le projet a suscité l’approbatio­n de plusieurs figures de la fintech suisse, comme Marc Bernegger. Ce

serial investisse­ur et ami de longue date de Brigitte Luginbühl y croit et figure parmi les conseiller­s de l’entreprise. Tout comme le renommé professeur de finance de l’Université de Zurich Thorsten Hens.

Sollicité par Le Temps, il explique qu’il en va in fine de la démocratis­ation du savoir. «Les cryptomonn­aies n’ont pas besoin de banques centrales, mais elles ont un désavantag­e, il est difficile de calculer leur valeur et elles sont ainsi trop volatiles. Le Swiss Real Coin résout ce problème en étant lié au marché immobilier», explique-t-il. Brigitte Luginbühl a suivi ses cours avant de faire ses armes dans la finance: «Elle a été une étudiante appliquée et conscienci­euse, qui a toujours excellé dans les solutions innovantes. Je suis sûr qu’elle va conduire cette entreprise au succès, malgré quelques obstacles réglementa­ires.»

Le premier devrait être levé – ou non – par la Finma d’ici à quelques mois.

Jeudi: Adela Villanueva, coach pour les entreprise­s tech

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(NICOLAS DUC POUR LE TEMPS)

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