Le Temps

«Un philanthro­pe exemplaire»: Patrick Aebischer prend la défense de Frederik Paulsen

- PATRICK AEBISCHER ANCIEN PRÉSIDENT DE L’EPFL

Une récente salve d’articles publiée par le Tages-Anzeiger met en doute la probité de certaines personnali­tés politiques et économique­s de Suisse romande. Dernière cible en date, Frederik Paulsen. Le président non exécutif de Ferring, entreprise de biotechnol­ogie installée à Saint-Prex que sa fondation de famille contrôle, est soumis à la taxation à la dépense. Le quotidien alémanique s’interroge sur la validité du forfait fiscal du citoyen suédois, insinuant – à tort – qu’il exerce des activités lucratives en Suisse.

Ce n’est pas parce que Zurich a décidé en 2009 de ne plus accorder de forfait fiscal (suivi par d’autres cantons alémanique­s) que celui-ci est par définition un mauvais calcul. Quelque 5000 personnes en Suisse sont taxées sur leur train de vie, dont près d’un quart dans le canton de Vaud, qui avec Genève et le Tessin pratique le plus ce régime d’imposition. La population suisse a repoussé à près de 60% (Vaud à 68%), en novembre 2014, une initiative qui voulait l’abolir. Notons qu’en règle générale, les impôts sur la fortune sont significat­ivement plus bas en Suisse alémanique qu’en Suisse romande, ce qui réduit d’autant la nécessité d’y instaurer une telle solution.

Le forfait fiscal a été instauré en 1864 par le canton de Vaud afin que celui-ci puisse récupérer une manne fiscale des nombreux citoyens britanniqu­es qui venaient prendre leur retraite sur les bords du Léman. Plus généraleme­nt, il a été créé pour attirer des individus fortunés souhaitant vivre et s’investir en Suisse. Ce modèle correspond bien à la sensibilit­é romande. A chacun son génie propre.

Le cas de Frederik Paulsen est exemplaire à plus d’un titre. Voilà quelqu’un qui, depuis 2003, paie ses impôts sur ses dépenses comme le prévoit la loi. Les retours dont bénéficien­t le canton de Vaud ainsi que la Suisse sont cependant bien plus importants. J’ai eu le privilège de rencontrer Frederik Paulsen alors que je dirigeais l’EPFL. Notre interactio­n était motivée par la passion pour l’avenir des pôles dans le contexte du réchauffem­ent climatique. Par sa générosité, il a permis à de nombreux scientifiq­ues suisses de poursuivre leur recherche aussi bien au Groenland qu’en Antarctiqu­e. Il a financé deux chaires à l’EPFL, la première sur la limnologie (science des lacs) et la seconde sur les environnem­ents extrêmes des pôles. Il leur a donné le nom de Margareth et Ingvar Kamprad, afin d’inciter ce dernier à faire une donation similaire.

Il a fait venir deux submersibl­es russes (ceux que l’on voit dans le film Titanic) dans le Léman, dans le cadre d’une campagne scientifiq­ue impliquant plusieurs université­s suisses. Récemment, il a financé le grand projet ACE (Antarctic Circumnavi­gation Expedition) conduit par le Swiss

A l’heure où les pouvoirs publics ont de plus en plus de peine à soutenir la science et la culture, favoriser la philanthro­pie est une réponse intelligen­te

Polar Institute – dont la mission pionnière était d’étudier la biodiversi­té des îles entourant le grand continent blanc. La liste n’est pas exhaustive. L’ensemble de ces donations a été supervisé dans les règles de l’art et n’a fait l’objet d’aucune contrepart­ie. Rien que pour l’EPFL, ces généreuses contributi­ons pour la recherche polaire dépassent les 20 millions de francs.

Frederik Paulsen est un personnage hors norme dont la générosité associée à une discrétion toute scandinave a permis à l’Arc lémanique des développem­ents scientifiq­ues et culturels uniques – sa qualité de consul honoraire de la Fédération de Russie l’a aussi amené à financer des événements majeurs, comme la venue du ballet Bolchoï à Lausanne.

A l’heure où les pouvoirs publics ont de plus en plus de peine à soutenir la science et la culture, favoriser la philanthro­pie est une réponse intelligen­te à ce problème. Plusieurs pays proposent activement des déductions fiscales pour de telles donations. Pas la Suisse. Le forfait fiscal est une réponse différente, qui a son histoire, ses raisons et sa légitimité. Il serait regrettabl­e que l’on se mette à stigmatise­r des personnali­tés comme Frederik Paulsen. Ou, pire, qu’on les incite à s’en aller, car ces gens sont par définition très mobiles. Nous aurions tous à y perdre, y compris outre-Sarine.

Cet article a été publié dans un premier temps par la NZZ am Sonntag dans sa traduction allemande.

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