Le Temps

Parfum de Chine

L’Empire du Milieu, si beau mais si loin. Pour un avant-goût moins distant, le Jardin chinois de Zurich, «le plus beau d’Europe», permet d’en entrevoir les richesses sur sol helvétique

-

Offert par la ville de Kunming, le Jardin chinois de Zurich permet d’appréhende­r les richesses millénaire­s de l’Empire du Milieu. Balade au coeur d’un paysage empreint de poésie et de sagesse, parsemé de quelques joyaux architectu­raux.

Sous les dragons sculptés du Qinfang, le pavillon du repos et des parfums, une carpe multicolor­e perce la surface du lac. Dérangées par les remous, deux libellules quittent leur nénuphar pour aller se percher sur la plus haute tour du jardin, Kuai Shui – «la joie dans la neige» –, qui domine les lieux du haut de ses 14 mètres. Depuis là-haut, on peut apercevoir l’ensemble du jardin, notamment son bâtiment principal, le palais de l’eau, mais également, au-delà du mur d’enceinte, l’embouchure de la Limmat.

«Si tu veux être heureux toute ta vie»

Unique en Suisse, le Jardin chinois de Zurich est un cadeau de la ville de Kunming, en Chine. «Si tu veux être heureux un jour, dis un proverbe mandarin, enivre-toi. Si tu veux être heureux trois jours, marie-toi. Si tu veux être heureux huit jours, tue un cochon et organise un grand banquet. Mais si tu veux être heureux toute ta vie, crée un jardin.» C’est ainsi qu’un beau jour de 1993, Kunming offrait à Zurich la félicité éternelle.

La présence d’une réplique miniature d’un jardin de «la ville du printemps éternel» (Kunming) en Suisse alémanique est le fruit d’une succession de hasards. «Dans les années 1980, raconte la guide Liliane Hidber, les jumelages avec des villes chinoises étaient «in». Pour sceller un tel pacte, Sigmund Widmer, le maire zurichois de l’époque, avait appelé Pékin, ditelle. Mais ils avaient déjà assez de partenaria­ts comme ça. Shanghai a répondu la même chose.» Mais Zurich s’entête, et finit par trouver la perle rare: Kunming. La capitale de la province du Yunnan – dix fois la taille de la Suisse – compte alors plus de 3 millions d’habitants.

Le partenaria­t entre la cité chinoise et la cité des bords de la Limmat commence par des échanges culturels. La venue d’oeuvres chinoises au Kunsthaus de Zurich, dont plusieurs des fameux guerriers en terre cuite, amorce la collaborat­ion. A l’orée des années 1990, les Suisses désirent cependant développer encore le jumelage des deux villes. Ils proposent leur aide aux Chinois dans le domaine de l’achemineme­nt de l’eau potable et de l’assainisse­ment. Kunming acquiesce, et le projet est un succès. La mégapole asiatique insiste alors pour remercier Zurich. Mais les autorités suisses ne peuvent réglementa­irement accepter de cadeau. Vient alors une propositio­n du maire de Kunming: quid d’un jardin?

Interloqué­e, mais bien renseignée quant à l’importance pour les Chinois de ne pas perdre la face, Zurich accepte. «Mais ils se demandaien­t bien où diable ils allaient pouvoir le mettre», rigole Liliane Hidber. Plusieurs lieux sont proposés aux Asiatiques. «Les Chinois ne disent pas non, dit la guide, ils sourient.» Il apparaît toutefois clair qu’aucun des endroits proposés ne convient. Jusqu’à la suggestion du lieu actuel. «C’est un lieu particuliè­rement feng shui, terme qui signifie «le vent et l’eau», dit-elle. Le jardin est idéalement situé. A la fois proche du lac, en lisière de parc, et protégé des énergies négatives au nord par le Züriberg.»Une fois la barrière des multiples opposition­s levées, branlebas de combat: 25 ouvriers chinois débarquent de Kunming pour bâtir le premier – et toujours unique – jardin chinois sur sol helvétique. Nous sommes en 1993. Tout est érigé sans clous, tradition architectu­rale du Yunnan oblige. Outre les bâtiments, une montagne artificiel­le, rappel des formations karstiques typiques de cette région du sud de la

DES CHUTES D’EAU ONT LE POUVOIR DE TRANSFORME­R LES POISSONS EN DRAGONS

Chine, est construite face au portail d’entrée. Un lac voit également le jour, tout en rondeur, symbole taoïste de l’adaptabili­té. En son centre, le pavillon rond, représenta­tion de l’élixir de longue vie, trône sur une petite île. Les chemins du jardin sont courbes, pour compliquer les déplacemen­ts des esprits malveillan­ts. Chaque détail porte une significat­ion précise. Adeptes du trait bien droit, les maçons suisses se sont quant à eux contentés de bâtir le mur d’enceinte.

Outre ses joyaux architectu­raux, le jardin se distingue tout particuliè­rement par ses peintures, gravures et autres estampes, qui décorent les plafonds des pavillons et couvrent les murs du Palais de l’eau. «Les illustrati­ons du complexe sont particuliè­rement finement ouvragées», explique Liliane Hidber. A tel point, dit-elle, que le Jardin chinois de Zurich passe pour être le plus beau d’Europe, «parole de Chinois». «Mais peutêtre qu’ils nous le disent juste pour nous faire plaisir», plaisante la guide octogénair­e.Indifféren­tes à ces préoccupat­ions narcissiqu­es, les carpes du lac ondulent dans leur bassin. Symboles de la ténacité, les poissons se dirigent en banc serré vers une petite cascade. Elles pourraient y trouver plus qu’un peu de nourriture. Selon la tradition chinoise en effet, certaines chutes d’eau – si la carpe parvient à les remonter – ont le pouvoir de transforme­r les poissons en dragons.

Jeudi: le Niesen, ou la Grande Pyramide de Suisse

BORIS BUSSLINGER, ZURICH @BorisBussl­inger

 ??  ??
 ?? (GRÜN STADT ZÜRICH/LUKAS HANDSCHIN) ?? Le pavillon rond et son petit pont d’accès, au Jardin chinois de Zurich.
(GRÜN STADT ZÜRICH/LUKAS HANDSCHIN) Le pavillon rond et son petit pont d’accès, au Jardin chinois de Zurich.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland