Le Temps

«Nos sites d’intérêt national sont en danger»

- PROPOS RECUEILLIS PAR YELMARC ROULET @YelmarcR

Depuis qu’il a pris sa retraite de criminolog­ue et de pénaliste, Martin Killias préside Patrimoine suisse. A ce poste, il défend les sites naturels et construits d’intérêt national et menace de lancer un référendum si leur protection devait être affaiblie ainsi que le souhaitent la droite et les électricie­ns

MARTIN KILLIAS PRÉSIDENT DE PATRIMOINE SUISSE

«La pression immobilièr­e se fait sentir surtout dans les petits centres et au coeur des villages»

Ce sera un des combats politiques des prochains mois sur le plan fédéral. La majorité parlementa­ire soutient l’initiative de l’un des siens, le sénateur Joachim Eder (PLR/ZG), qui tend à affaiblir la protection nationale des sites naturels et construits, pour élargir la marge de manoeuvre cantonale. Le poids des experts des commission­s fédérales serait en particulie­r revu à la baisse. La consultati­on qui vient de s’achever montre que la droite, le PDC et les milieux de l’énergie sont favorables à la révision, combattue par la gauche, les Vert’libéraux et les organisati­ons de protection de la nature et du patrimoine.

Après s’être fait connaître comme professeur de droit pénal et criminolog­ue – il a notamment dirigé l’Institut de criminolog­ie de l’Université de Lausanne – Martin Killias assume depuis septembre 2017 la présidence de Patrimoine suisse, où il a succédé au Vaudois Philippe Biéler. A ce titre, il s’oppose fermement à la réforme envisagée de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN) et brandit déjà la menace du référendum.

On vous connaissai­t comme criminolog­ue et maintenant vous défendez le paysage, que s’est-il donc passé?

Le patrimoine bâti a toujours été ma passion. J’ai rejoint Patrimoine suisse comme simple membre à l’âge de 17 ans! Je suis donc simplement retourné à mes vieilles amours.

Avec Patrimoine suisse, vous menacez de lancer un référendum si la révision envisagée de la LPN se concrétise. Quels dangers voyezvous concrèteme­nt?

Ce projet de loi fait partie d’une campagne que les milieux de l’immobilier mènent, depuis un certain temps déjà, contre la protection des sites naturels et historique­s. En l’occurrence, les sites d’importance nationale pourront être sacrifiés pour réaliser des projets d’intérêt cantonal, voire local. On pourrait donc aménager des téléskis sur le glacier d’Aletsch, des ports de plaisance dans la Grande Cariçaie, sur la rive sud du lac de Neuchâtel ou altérer le site des chutes du Rhin. Depuis que les réserves de terrains constructi­bles diminuent, la pression immobilièr­e se fait sentir surtout dans les petits centres et au coeur des villages. De nombreux bourgs et villages protégés dans l’inventaire de la Confédérat­ion pourront subir des dégradatio­ns importante­s au nom d’intérêts très particulie­rs. Actuelleme­nt, en revanche, seuls des intérêts de rang national peuvent justifier un assoupliss­ement de la protection.

La liste des sites protégés d’intérêt national est longue et ces sites recouvrent 20% du territoire suisse. C’est beaucoup…

Ces sites comprennen­t surtout des paysages naturels peu peuplés et donc étendus. La menace se concrétise­ra surtout sur le plateau suisse et dans les villes et villages, où se trouvent des sites et bâtiments protégés par l’inventaire de la Confédérat­ion.

La révision a notamment pour objectif de favoriser le développem­ent des énergies renouvelab­les. Contestez-vous que cela soit nécessaire?

Non, je n’ai rien contre les énergies renouvelab­les. L’initiative parlementa­ire à l’origine de ce projet de révision visait précisémen­t à assouplir la protection des sites au profit de la production d’énergies renouvelab­les et le législateu­r l’a largement suivie sur ce point. Maintenant on cherche à aller au-delà de ce postulat et à faciliter des atteintes de tout autre nature.

Les partisans de la révision dénoncent le poids des experts qui forment les commission­s fédérales des sites naturels et des monuments historique­s, au détriment de la classe politique. Contestez-vous qu’il y ait un déficit démocratiq­ue?

Au niveau local surtout, les élus sont très souvent trop rapidement disposés à accepter le sacrifice de biens culturels au profit d’intérêts très particulie­rs, soit à cause d’une sensibilit­é trop peu développée, soit tout simplement sous le poids des intérêts économique­s prépondéra­nts. Des experts indépendan­ts sont souvent indispensa­bles pour remettre les priorités dans le bon ordre. La liste des objets sauvés grâce aux commission­s fédérales est impression­nante!

Avec cette révision, les intérêts des cantons seraient davantage pris en compte. Alors que les cantons ont tendance à perdre de la substance, c’est plutôt vivifiant pour le fédéralism­e que de leur redonner des compétence­s…

Je ne sais pas si les preuves par les faits confirment ces dires. Pensons à l’exemple du canton de Schwytz qui souhaite faire raser des maisons datant de 1300, qui sont pourtant d’importance nationale sinon européenne. Au demeurant, de nombreux cantons ne souhaitent pas du tout cette révision, craignant précisémen­t les pressions accrues et les risques de dérives.

Après la Lex Weber et la LAT, votre position ne creuse-t-elle pas le clivage entre le plateau, qui réclame de la protection, et les régions de montagne, empêchées de se développer?

Les régions de montagne sont en effet riches en monuments et sites historique­s. Cette richesse est souvent en train d’être dilapidée au profit de certains promoteurs immobilier­s. A la longue, cela sera leur perte. Qui souhaitera­it déjà passer des vacances dans des stations d’une laideur comparable aux pires des quartiers de nos agglomérat­ions?

Dans la bataille politique qui s’annonce, voyez-vous le Conseil fédéral comme un allié?

On le verra bien. En tous les cas, le Conseil fédéral est plus éloigné des intérêts du secteur de la constructi­on, très présent dans le parlement.

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