Juge de la peine d’autrui
Un adolescent leucémique doit la vie à une décision de justice. Il s’acquitte de sa dette dans ce film anglais délicat
Spécialiste du Children Act (une loi de 1989 qui définit les modalités de protection des enfants et donne son titre au film en V. O.), la juge Fiona Maye (Emma Thompson) statue sur des cas douloureux comme la séparation chirurgicale de frères siamois. Au moment où son mariage de longue date avec Jack (Stanley Tucci) bat de l’aile, elle est amenée à se prononcer sur le cas d’Adam Henry (Fionn Whitehead). Témoins de Jéhovah, cet adolescent leucémique et ses parents refusent la transfusion sanguine. Avant de rendre son jugement, la magistrate va voir le malade à l’hôpital. Il est beau, vif d’esprit, passionné. Sur sa vieille guitare, il esquisse une mélodie: elle lui enseigne les paroles, ce sont celles d’Au bas des jardins de saules, de Yeats. La transfusion est ordonnée, Adam guérit.
Le sang allogène qui l’a rendu à la vie l’a modifié profondément. Il abjure Dieu, cherche un sens à l’existence. Remplaçant le romantisme de la mort par celui de l’amour, il se consume pour sa sauveteuse, qu’il appelle «My Lady» (c’est le titre de Mme la juge en Angleterre). Il la contacte par téléphone, lui écrit des lettres passionnées, la traque jusqu’à Newcastle. Fâchée par ces intrusions, bouleversée par ces témoignages fougueux et maladroits, oubliant qu’on est responsable de ceux dont on a sauvé la vie, Fiona lui demande de sortir de son existence. «Mais moi j’étais jeune et fou et depuis lors je te pleure», comme l’écrivait Yeats.
Emois adolescents
Tiré d’un roman de Ian McEwan (L’intérêt de l’enfant), adapté à l’écran par Richard Eyre (Iris, The Other Man), un réalisateur d’une irréfutable «britannité», My Lady surprend dans le paysage cinématographique contemporain par sa composante adulte. Ce ne sont pas des justiciers baraqués que l’on voit à l’écran, mais des hommes et des femmes de loi et de lettres, des citoyens confrontés à des enjeux exigeant des connaissances juridiques pointues et un sens moral supérieur.
Pudique et poignante, la relation entre Adam et Fiona, qui mêle émois adolescents, angoisse existentielle, troubles de la solitude et mélancolie, sonne terriblement juste. Et si, à quelques reprises, un zeste d’académisme empèse le récit, l’excellence des comédiens et la dignité des personnages l’emportent sur toute autre considération.
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★★★ My Lady (The Children Act), de Richard Eyre (Royaume-Uni, 2018), avec Emma Thompson, Stanley Tucci, Fionn Whitehead, 1h45.