Le Temps

En électroniq­ue, les excitantes promesses des excitons

- FLORENCE ROSIER

Pour la première fois, des chercheurs de l’EPFL sont parvenus à faire fonctionne­r un transistor basé sur une particule peu connue, l’exciton, à températur­e ambiante. L’enjeu est de créer des systèmes électroniq­ues aux propriétés innovantes

Connaissez-vous les «excitons»? Rares sont les initiés à cet étonnant secret de la matière, hors du cercle des physiciens. Mais les choses pourraient changer avec la prouesse technologi­que réalisée par une équipe de l’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne (EPFL), publiée dans la revue Nature le 25 juillet. Pour la première fois, les chercheurs sont parvenus à faire fonctionne­r, à températur­e ambiante, un transistor à base d’excitons. L’occasion rêvée de découvrir ces drôles de zèbres.

Epaisseur nanométriq­ue

Car un exciton est un couple étrange: il associe un électron à un «trou» d’électron. C’est donc une «quasi-particule», entité conçue pour décrire certains comporteme­nts de la matière. Explicatio­ns: prenez un «semi-conducteur», c’est-à-dire un matériau solide, aux atomes très régulièrem­ent assemblés, capable de conduire le courant électrique avec une efficacité intermédia­ire entre celle des métaux (excellents conducteur­s) et celle des isolants.

Bombardez maintenant ce semi-conducteur avec des grains de lumière, ou photons. Que se passe-t-il? Certains électrons absorbent un de ces photons. Excités, ils bondissent hors de leur niveau d’énergie initial pour passer à un niveau supérieur. Ce faisant, ils créent un vide dans leur niveau initial: c’est le «trou d’électron». Mais cet électron, chargé négativeme­nt, reste lié à son «trou», chargé positiveme­nt, par des forces électrosta­tiques. C’est ce duo qui forme l’exciton – un concept forgé dès 1931 par le physicien soviétique Yakov Frenkel.

«Cet électron et ce trou peuvent circuler ensemble dans un semi-conducteur», relève Andras Kis, dernier auteur de l’article dans Nature, qui dirige le Laboratoir­e d’électroniq­ue et structures à l’échelle nanométriq­ue de l’EPFL. Ensuite, l’électron de cette paire retombe dans son «trou»: il émet un photon – et l’exciton cesse d’exister.

«La plupart des transistor­s actuels fonctionne­nt avec des électrons ou des trous», explique Stéphane Berciaud, de l’Institut de physique et chimie des matériaux (CNRS) à l’Université de Strasbourg, en France. Mais, depuis 8 ans, un graal excite les chercheurs: développer de nouvelles génération­s de transistor­s à base d’excitons.

A cette fin, «on s’est orientés vers des feuillets de semi-conducteur­s très fins, d’une épaisseur nanométriq­ue (un à trois atomes seulement)», souligne Stéphane Berciaud. Pas n’importe quel semi-conducteur: des matériaux au nom barbare, nommés «dichalcogé­nures de métaux de transition» (TMD). En clair, ils combinent un métal comme le molybdène ou le tungstène, à deux atomes de soufre ou de sélénium. «Dans ces matériaux, les excitons sont particuliè­rement robustes.»

Les chercheurs savent empiler des mono-couches de TMD, liées entre elles par des forces faibles. Cette structure leur confère des propriétés physiques très originales. Par exemple, leur faible friction mécanique est exploitée dans les farts de ski.

Dans de tels semi-conducteur­s, certaines équipes étaient déjà parvenues à propager des excitons. Mais sur des temps très courts, et à des températur­es extrêmemen­t basses (au moins -173°C). «L’électron et son trou se rejoignaie­nt très vite. L’électron émettait de la lumière, et l’exciton était détruit», explique Andras Kis.

Plus longue durée de vie

Son équipe – «un des leaders mondiaux du domaine», précise Stéphane Berciaud – est parvenue à prolonger l’odyssée de ces excitons. Comment? En utilisant deux TMD différents: le disulfure de molybdène (MoS2) et le diséléniur­e de tungstène (WSe2). L’avantage: l’électron se place systématiq­uement dans la couche de MoS2, et le «trou» dans celle de WSe2. «Il devient alors très difficile pour eux de se rejoindre. Cela allonge considérab­lement la durée de vie de l’exciton», se réjouit Andras Kis. Du coup, ces quasi-particules ne sont pas rapidement détruites à températur­e ambiante.

Ce tour de force a aussi nécessité la collaborat­ion avec un groupe japonais, «capable de produire les meilleurs cristaux du monde d’un isolant, le nitrure de brome», relève Stéphane Berciaud. Exfolié en couches ultra-fines, cet isolant a servi à enrober «en sandwich» les deux couches de TMD, prolongean­t la vie des excitons. Mieux encore: à l’aide de champs électrique­s, les chercheurs sont parvenus à «dompter» la trajectoir­e de ces simili-particules.

Quid des applicatio­ns? L’EPFL évoque une découverte qui «lance l’électroniq­ue du futur». Des promesses encore floues, en vérité. «Nous ne sommes qu’au début de l’aventure, reconnaît Andras Kis. Beaucoup reste à faire avant de développer des systèmes innovants opérationn­els. Mais on peut imaginer augmenter l’efficacité des dispositif­s opto-électroniq­ues pour des détecteurs de lumière utilisés dans les télécommun­ications. Ou réduire leur taille. Ou encore diminuer la consommati­on d’énergie des ordinateur­s.»

 ?? (LANES EPFL) ?? Un transistor à base d’excitons est une première. L’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne évoque une découverte qui «lance l’électroniq­ue du futur».
(LANES EPFL) Un transistor à base d’excitons est une première. L’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne évoque une découverte qui «lance l’électroniq­ue du futur».

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland