A Mexico, la rue s’embrase
Le Mexique, au mois de juillet, trois mois avant les Jeux olympiques d’été, vit sa propre révolte estudiantine. Qui sera réprimée comme on tue une mouche au canon
Dès le 26 juillet 1968 et jusqu’au sombre et encore très méconnu massacre qui a eu lieu dans l’après-midi et la nuit du 2 octobre suivant sur la place des TroisCultures à Tlatelolco, la révolte des étudiants à Mexico se situe dans la continuité des mouvements états-unien et parisien. Mais la spontanéité, le radicalisme et les émotions fortes n’expliquent pas entièrement la virulence de ces manifestations contre le régime politique et le président de la République. Elles ont lieu trois mois avant l’ouverture des Jeux olympiques d’été de Mexico, capitale sur laquelle le monde avait les yeux rivés. La vitrine était trop belle pour ne pas en profiter.
Ces révoltes indiquent, en somme, l’évolution profonde d’une société qui veut avoir plus d’assise après sa période révolutionnaire; c’est ce qui a fait monter la colère d’une jeunesse nourrie de rock et de luttes anticoloniales, réfractaire à toute forme d’autorité. Depuis quelques jours, en ce 31 juillet 1968, la capitale est donc «placée sous le contrôle de l’armée», comme l’annonce la Gazette de Lausanne. «Mexico aussi», renchérit à la une l’éditorialiste François Landgraf: «Prenant à leur compte le slogan de «Che» Guevara, des milliers de jeunes Mexicains, en majeure partie des étudiants, ont crié dans les rues de leur capitale: «Faisons un nouveau Vietnam.» L’exercice de contestation a mal fini. […] Il y a eu des morts.»
Baïonnettes et bazookas
En Amérique latine, il faut dire que, comme «nulle part ailleurs dans le monde», on ne connaissait à cette époque «pareil fourmillement à gauche et à l’extrême gauche» contre les pouvoirs autoritaires en place ou en phase de s’installer, «d’inspiration trotskiste, maoïste, castriste, guévariste, ou prosoviétique». Au Mexique, le président Gustavo Díaz Ordaz, issu des rangs du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) né quelques années après la révolution, s’essouffle après quatre ans au pouvoir. Il s’appuie sur la tradition d’un système corporatiste, fortement lié aux «bons éléments socialistes» de la société civile mexicaine, aux syndicats et aux entreprises. Ce qui permet au parti d’assurer la pérennité et le progrès de la nation, disait-il.
Mais trop c’est trop. Le PRI monopolise le pouvoir depuis quarante ans, et malgré ses réalisations concrètes en faveur des paysans et des classes sociales défavorisées, sa poigne dérange. Après avoir «maîtrisé l’agitation politique du début de la décennie», il a réprimé «avec efficacité» ces violences de juillet, déclenchées par «une simple bagarre d’étudiants». Il a réagi en tirant au canon contre une mouche: «Six cents soldats prirent position devant le Palais national aux premières heures du matin face au bâtiment occupé par les étudiants» qui réclamaient seulement un enseignement politiquement moins orienté et, surtout, adapté aux besoins d’une société dont l’économie avait enfin démarré.
Le mouvement exprime un désir de liberté, selon la journaliste Elena Poniatowska, qui a beaucoup écrit sur la répression au Mexique. Des enfants d’ouvriers, par exemple, luttaient contre la sélection à l’université et réclamaient une société moins patriarcale, moins sectaire, moins clientéliste. La réaction fut immédiate: «Les militaires furent renforcés par des chars et des voitures blindées; des bazookas furent mis en batterie. Les soldats chargèrent baïonnette au canon et ce furent les obus des bazookas qui ouvrirent les portes des écoles» occupées.
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