Le Temps

A Lausanne, les terrasses refroidies par une loi complexe

Les tenanciers qui souhaitent installer une terrasse devant leur établissem­ent se heurtent parfois à la complexité de la loi, qui engendre incompréhe­nsion et frustratio­n. La municipali­té se défend de faire du zèle et prône l’égalité de traitement

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Installer quelques tables à l’extérieur et servir des cafés au soleil durant les beaux jours? La perspectiv­e fait rêver restaurate­urs et commerçant­s, soucieux de capter l’oeil du chaland. Ouvrir une terrasse n’est pourtant pas une démarche simple à Lausanne. Face à la complexité de la loi, certains abandonnen­t leur projet, d’autres se lancent dans un long chemin de croix. Accusée de mettre des bâtons dans les roues des commerçant­s, la municipali­té réaffirme sa volonté de dynamiser le centrevill­e, dans la limite du cadre légal.

Au téléphone, le président du groupe Bongénie, Pierre Brunschwig, s’impatiente. L’été déjà bien entamé, son projet de terrasse à la place Saint-François est toujours en attente. «Nous avons déposé une demande d’autorisati­on fin janvier, détaille le Genevois, il y a eu des échanges, on a les plans, mais rien ne bouge.» Il précise qu’il ne s’agit pas d’un «projet colossal» ni d’une «opération lucrative», mais seulement de «vingt tables pour redonner un peu de vie à cette place».

A ses yeux, l’épisode est emblématiq­ue de la difficulté de traiter avec les pouvoirs publics. «Je ne m’explique pas cette lenteur, cette rigidité, déplore Pierre Brunschwig. La charge administra­tive et bureaucrat­ique ne cesse de s’intensifie­r et personne ne veut prendre de responsabi­lité.»

«Obstacle au développem­ent»

Installée depuis quatre ans à la rue Cheneau-de-Bourg, l’épicerie Ernest ne désemplit pas. A la pause de midi, le petit local de 50 m² est littéralem­ent pris d’assaut. Le fondateur, Guillaume Huray, aurait bien installé quelques tables pour permettre à ses clients de manger sur le pouce. Face aux exigences requises, il a finalement abandonné. «L’investisse­ment n’aurait pas été rentable, déplore l’entreprene­ur, il fallait installer une deuxième toilette, une ventilatio­n, une porte ouverte vers l’extérieur, obtenir une licence d’exploitati­on.» A ses yeux, la rigidité de la loi est un obstacle au développem­ent. «Un peu de flexibilit­é serait bienvenue.»

Christian Suter, lui, aperçoit enfin le bout du tunnel. Après plusieurs années de tractation­s et de multiples versions d’un même projet, le tenancier du Café Romand a finalement obtenu la mise à l’enquête de sa terrasse de 25 m². Si tout va bien, elle devrait être installée pour l’été prochain. «Je n’ai pas brûlé les étapes ni obtenu de passe-droits», insiste le patron, tout en précisant qu’il s’est entouré d’un spécialist­e pour l’aiguiller dans les «méandres administra­tifs». «Le petit commerce se meurt à Lausanne et la restaurati­on souffre aussi, déplore-t-il. J’ai dû m’adapter aux exigences de la loi, composer avec la municipali­té, mais au final cette terrasse me permettra de gagner en visibilité.»

La ville de Lausanne fait-elle du zèle? Joue-t-elle la montre volontaire­ment? Pierre-Antoine Hildbrand, chef du Départemen­t de la sécurité et de l’économie, balaye les critiques. «Tout prend du temps, mais tout avance», affirme-t-il en soulignant qu’ouvrir un établissem­ent sur le domaine public n’est pas un geste anodin. «La ville se conforme aux exigences cantonales, nous refusons de valider des projets à la va-vite qu’il faudra rafistoler par la suite ou de fonctionne­r à l’exception.»

Face aux accusation­s, l’élu municipal avance des chiffres: «Actuelleme­nt, seules 3 ou 4 demandes sont en cours de traitement et nous octroyons en moyenne 12 nouvelles autorisati­ons par année.» Au total, Lausanne compte 489 terrasses d’établissem­ents, dont 193 installées sur le domaine public. Il évoque des exemples de réussites: la terrasse du bar Le XIIIe Siècle ou encore celle du Kiosque Saint-François dont la capacité a doublé. «Concernant le projet de terrasse au Bongénie, la procédure de mise à l’enquête publique est actuelleme­nt bloquée par le fait que les plans et le plan de situation doivent être signés par l’ensemble des propriétai­res concernés et par l’auteur. Un diagnostic amiante doit également être fourni.»

Vaud bon élève

Pour Philippe Bovet, président de la Société coopérativ­e des commerçant­s lausannois, la lourdeur de la machine administra­tive n’est pas spécifique à la ville de Lausanne. «Les fonctionna­ires n’ont pas la même notion de l’urgence que l’entreprene­ur, persuadé de tenir une idée géniale et qui veut la réaliser immédiatem­ent.»

Il refuse toutefois d’accabler la municipali­té. «Pierre-Antoine Hildbrand est à l’écoute, il fait son possible pour rendre le centre-ville attractif sans le défigurer», estime Philippe Bovet, qui rappelle les limites de la loi cantonale sur les auberges et les débits de boissons. Si la réglementa­tion suisse est déjà «très contraigna­nte», il estime que le canton de Vaud joue les «premiers de classe».

Vice-président de GastroVaud, Rui Pereira confirme que la loi vaudoise est légèrement plus stricte que dans le reste de la Suisse – à Zurich par exemple – notamment au niveau des nuisances sonores. «Quoi qu’il en soit, la municipali­té garde une latitude, il s’agit du domaine public.»

«Les fonctionna­ires n’ont pas la même notion de l’urgence que l’entreprene­ur, qui veut réaliser son idée immédiatem­ent» PHILIPPE BOVET, PRÉSIDENT

DE LA SOCIÉTÉ COOPÉRATIV­E

DES COMMERÇANT­S LAUSANNOIS

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(LEA KLOOS/LE TEMPS)

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