A Lausanne, les terrasses refroidies par une loi complexe
Les tenanciers qui souhaitent installer une terrasse devant leur établissement se heurtent parfois à la complexité de la loi, qui engendre incompréhension et frustration. La municipalité se défend de faire du zèle et prône l’égalité de traitement
Installer quelques tables à l’extérieur et servir des cafés au soleil durant les beaux jours? La perspective fait rêver restaurateurs et commerçants, soucieux de capter l’oeil du chaland. Ouvrir une terrasse n’est pourtant pas une démarche simple à Lausanne. Face à la complexité de la loi, certains abandonnent leur projet, d’autres se lancent dans un long chemin de croix. Accusée de mettre des bâtons dans les roues des commerçants, la municipalité réaffirme sa volonté de dynamiser le centreville, dans la limite du cadre légal.
Au téléphone, le président du groupe Bongénie, Pierre Brunschwig, s’impatiente. L’été déjà bien entamé, son projet de terrasse à la place Saint-François est toujours en attente. «Nous avons déposé une demande d’autorisation fin janvier, détaille le Genevois, il y a eu des échanges, on a les plans, mais rien ne bouge.» Il précise qu’il ne s’agit pas d’un «projet colossal» ni d’une «opération lucrative», mais seulement de «vingt tables pour redonner un peu de vie à cette place».
A ses yeux, l’épisode est emblématique de la difficulté de traiter avec les pouvoirs publics. «Je ne m’explique pas cette lenteur, cette rigidité, déplore Pierre Brunschwig. La charge administrative et bureaucratique ne cesse de s’intensifier et personne ne veut prendre de responsabilité.»
«Obstacle au développement»
Installée depuis quatre ans à la rue Cheneau-de-Bourg, l’épicerie Ernest ne désemplit pas. A la pause de midi, le petit local de 50 m² est littéralement pris d’assaut. Le fondateur, Guillaume Huray, aurait bien installé quelques tables pour permettre à ses clients de manger sur le pouce. Face aux exigences requises, il a finalement abandonné. «L’investissement n’aurait pas été rentable, déplore l’entrepreneur, il fallait installer une deuxième toilette, une ventilation, une porte ouverte vers l’extérieur, obtenir une licence d’exploitation.» A ses yeux, la rigidité de la loi est un obstacle au développement. «Un peu de flexibilité serait bienvenue.»
Christian Suter, lui, aperçoit enfin le bout du tunnel. Après plusieurs années de tractations et de multiples versions d’un même projet, le tenancier du Café Romand a finalement obtenu la mise à l’enquête de sa terrasse de 25 m². Si tout va bien, elle devrait être installée pour l’été prochain. «Je n’ai pas brûlé les étapes ni obtenu de passe-droits», insiste le patron, tout en précisant qu’il s’est entouré d’un spécialiste pour l’aiguiller dans les «méandres administratifs». «Le petit commerce se meurt à Lausanne et la restauration souffre aussi, déplore-t-il. J’ai dû m’adapter aux exigences de la loi, composer avec la municipalité, mais au final cette terrasse me permettra de gagner en visibilité.»
La ville de Lausanne fait-elle du zèle? Joue-t-elle la montre volontairement? Pierre-Antoine Hildbrand, chef du Département de la sécurité et de l’économie, balaye les critiques. «Tout prend du temps, mais tout avance», affirme-t-il en soulignant qu’ouvrir un établissement sur le domaine public n’est pas un geste anodin. «La ville se conforme aux exigences cantonales, nous refusons de valider des projets à la va-vite qu’il faudra rafistoler par la suite ou de fonctionner à l’exception.»
Face aux accusations, l’élu municipal avance des chiffres: «Actuellement, seules 3 ou 4 demandes sont en cours de traitement et nous octroyons en moyenne 12 nouvelles autorisations par année.» Au total, Lausanne compte 489 terrasses d’établissements, dont 193 installées sur le domaine public. Il évoque des exemples de réussites: la terrasse du bar Le XIIIe Siècle ou encore celle du Kiosque Saint-François dont la capacité a doublé. «Concernant le projet de terrasse au Bongénie, la procédure de mise à l’enquête publique est actuellement bloquée par le fait que les plans et le plan de situation doivent être signés par l’ensemble des propriétaires concernés et par l’auteur. Un diagnostic amiante doit également être fourni.»
Vaud bon élève
Pour Philippe Bovet, président de la Société coopérative des commerçants lausannois, la lourdeur de la machine administrative n’est pas spécifique à la ville de Lausanne. «Les fonctionnaires n’ont pas la même notion de l’urgence que l’entrepreneur, persuadé de tenir une idée géniale et qui veut la réaliser immédiatement.»
Il refuse toutefois d’accabler la municipalité. «Pierre-Antoine Hildbrand est à l’écoute, il fait son possible pour rendre le centre-ville attractif sans le défigurer», estime Philippe Bovet, qui rappelle les limites de la loi cantonale sur les auberges et les débits de boissons. Si la réglementation suisse est déjà «très contraignante», il estime que le canton de Vaud joue les «premiers de classe».
Vice-président de GastroVaud, Rui Pereira confirme que la loi vaudoise est légèrement plus stricte que dans le reste de la Suisse – à Zurich par exemple – notamment au niveau des nuisances sonores. «Quoi qu’il en soit, la municipalité garde une latitude, il s’agit du domaine public.»
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«Les fonctionnaires n’ont pas la même notion de l’urgence que l’entrepreneur, qui veut réaliser son idée immédiatement» PHILIPPE BOVET, PRÉSIDENT
DE LA SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE
DES COMMERÇANTS LAUSANNOIS