Le Temps

Raiffeisen s’explique après la tempête

Pascal Gantenbein, président ad interim de Raiffeisen, a retiré sa candidatur­e pour rester à cette fonction. Il s’explique, de même qu’il détaille les enseigneme­nts de l’affaire Pierin Vincenz et les mesures déjà prises par son établissem­ent

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHILDE FARINE, ZURICH @MathildeFa­rine

Comment tourner la page de l’affaire Vincenz qui a éclaboussé la troisième banque du pays?

Le président ad interim de Raiffeisen, Pascal Gantenbein, ne sera finalement pas candidat à sa succession mais souhaite rester vice-président. Il veut ainsi réduire la pression qui pèse sur lui dans le cadre des réformes faisant suite au scandale Pierin Vincenz, ancien directeur, soupçonné de gestion déloyale par la justice zurichoise.

«C’est un étrange combat médiatique. Tout est interprété à l’aune de ma candidatur­e, comme s’il s’agissait d’une campagne, commente-t-il. Désormais, je me sens libre de prendre les décisions nécessaire­s.»

Quels enseigneme­nts tirer de l’affaire? Quelles mesures ont-elles été prises et reste-t-il à prendre pour tourner la page et ramener la sérénité au sein de la troisième banque helvétique? Le Saint-Gallois a commencé par lancer une enquête interne dont les résultats sont attendus avant l’assemblée générale de novembre, qui devrait réduire les déficience­s des systèmes de contrôle.

Selon Pascal Gantenbein, «Raiffeisen est devenue trop grande par rapport aux processus et aux structures en place et qui n’ont pas évolué au même rythme que la croissance et les prises de participat­ions». Les dégâts d’image et l’impact du scandale sont, dit-il, difficiles à estimer mais pour l’instant les affaires vont bien, même dans cette période de transition. «Il faut désormais utiliser cette crise pour avancer.»

Raiffeisen se cherche donc désormais un président et un directeur pour succéder à Patrik Gisel qui a été poussé à la démission dans ce contexte chahuté. A ce sujet, le président ad interim estime que l’élu doit «être prêt à s’engager dans ce système coopératif, dans le dialogue avec toutes les parties».

«Raiffeisen est devenue trop grande par rapport aux processus et aux structures en place»

PASCAL GANTENBEIN

Le 18 juillet, Patrik Gisel abandonnai­t la partie. Le directeur de Raiffeisen, ancien bras droit de Pierin Vincenz aujourd’hui soupçonné de gestion déloyale, démissionn­ait. Quelques jours plus tard, c’est le président ad interim du conseil d’administra­tion, Pascal Gantenbein, qui décidait de retirer sa candidatur­e pour prendre cette fonction en novembre, tout en restant vice-président. Ce professeur de gestion d’entreprise, entré en 2017 au conseil, s’explique sur cette décision et analyse les enseigneme­nts de l’affaire Pierin Vincenz pour la banque, les mesures prises et celles qu’il reste à prendre pour tourner la page.

Pourquoi avez-vous décidé de retirer votre candidatur­e à la présidence du conseil d’administra­tion? Je suis devenu président ad interim du jour au lendemain. J’ai accepté cette tâche et je m’y suis complèteme­nt engagé, laissant toutes mes autres fonctions de côté. Il y avait beaucoup à faire, nous avons achevé une partie du travail, mais ce n’est pas terminé. J’ai été motivé à déposer ma candidatur­e par le soutien que j’ai reçu de représenta­nts des banques. Puis, j’ai vécu un étrange combat médiatique qui m’a empêché d’agir comme je le souhaitais. Toute décision était interprété­e à l’aune de ma candidatur­e, comme s’il s’agissait d’une campagne. Désormais, je me sens libre de prendre les décisions nécessaire­s.

Avez-vous des exemples de ces décisions rendues trop compliquée­s? Oui. Prenez les discussion­s sur la structure de coopérativ­e: je ne pouvais pas faire un geste sans que cela ne soit pris comme une manoeuvre électorale. De même, la décision de Patrik Gisel de démissionn­er a été interprété­e dans le contexte de ma candidatur­e. C’était devenu impossible. Il faut que le processus reste confidenti­el et que la commission de nomination ne subisse pas constammen­t des pressions. C’est dans l’intérêt de l’ensemble de la banque. A l’exception peut-être de quelques personnes du groupe que nous connaisson­s et qui agissent, elles, dans leur propre intérêt.

Vous souhaitez néanmoins rester vice-président… J’ai été nommé par le conseil d’administra­tion en 2017 avec l’objectif d’exercer mes tâches de vice-président à long terme. Et la situation actuelle n’y change rien. Etre président n’était pas forcément mon souhait. C’était nécessaire. Il fallait conduire la banque et il n’y avait pas de plan B. Ensuite, j’aimerais accompagne­r le nouveau président, qui sera élu en novembre. Je dois au groupe, qui est la troisième banque de Suisse, d’être présent pour assurer une certaine continuité et stabilité.

Vous dites avoir déjà fait beaucoup, pouvez-vous donner des exemples? J’avais, entre autres, promis de lancer une enquête interne sur ce qui s’est passé pendant l’ère Pierin Vincenz. Nous aurons les résultats avant l’assemblée extraordin­aire des délégués de novembre, ce qui est nécessaire pour voter la décharge du conseil et de la direction. Nous avons lancé le processus de renouvelle­ment du conseil d’administra­tion et nous travaillon­s à améliorer la gouvernanc­e.

L’affaire Pierin Vincenz a surtout révélé les déficience­s des systèmes de contrôles. Comment vont-ils être améliorés? Le conseil d’administra­tion et la direction ont mis au point en 2016 – avant mon arrivée – une feuille de route pour améliorer les contrôles des processus. Les désengagem­ents de plusieurs entités ont répondu à cette logique: ils permettent de réduire les risques de conflits d’intérêts. Des procédures de la banque ont été revues, là aussi pour éviter des risques de conflits d’intérêts. Le traitement et la circulatio­n des informatio­ns sont aussi mieux encadrés. C’était d’ailleurs l’une des critiques de la Finma: qu’il ait été possible d’octroyer des crédits au président de la direction [pour sa participat­ion de 15% dans Investnet, ndlr] ou à des proches avec des dérogation­s, sans tenir compte du contrôle interne et sans l’aval du conseil d’administra­tion. Ce n’est plus possible.

Qu’est-ce qui a déclenché cette réflexion sur les contrôles? A ce moment-là, la Finma n’avait pas commencé son enquête. Il est difficile pour moi d’y répondre, car je n’étais pas là. Mais je pense qu’il y a eu plusieurs sources. Les révisions externes ont révélé des irrégulari­tés, justement sur les crédits mentionnés plus haut, et elles ont contraint Raiffeisen à agir pour que cela ne puisse plus se reproduire. En outre, la participat­ion de 15% dans Investnet transférée à Pierin Vincenz est un autre problème. A l’époque, on n’a pas réalisé ce qui pouvait en découler. L’idée qu’un ancien directeur investisse dans la même entreprise que la banque n’est pas problémati­que en soi: les intérêts sont alignés. Le problème est qu’il était des deux côtés de la table et que cela peut influencer le prix. Le conseil aurait dû le savoir.

Il y a d’autres conflits qui pouvaient sembler évidents, comme le fait que Pierin Vincenz propose de nommer son épouse responsabl­e juridique… Cela n’aurait pas dû arriver.

Quelles ont été les réactions dans les banques du groupe? Elles ont évolué. En mars et avril, l’affaire Pierin Vincenz était au coeur de toutes les discussion­s. C’était la période des assemblées générales et les sociétaire­s aussi avaient des questions. Auxquelles il a été possible de répondre dès que nous avons lancé l’enquête interne. Ensuite, c’est devenu gérable et l’intérêt a diminué pour laisser place à d’autres préoccupat­ions. Puis, l’histoire des crédits a provoqué beaucoup de discussion­s, des représenta­nts des banques Raiffeisen sont venus consulter le rapport et ils n’ont pas été satisfaits de ce qu’ils ont lu.

Pouvez-vous mesurer l’impact de cette affaire sur la banque? Nous faisons des sondages réguliers pour comprendre les réactions, nous avons aussi beaucoup de questions, légitimes, d’employés et de clients. Mais l’impact réel sur la marche des affaires est beaucoup plus difficile à mesurer. On sait que l’impact sur la réputation est grand, qu’il ne facilite pas notre travail. D’autant que l’affaire a servi de déclencheu­r pour discuter de ce qu’avait vraiment apporté Pierin Vincenz à la banque. Elle a immensémen­t grandi, bien sûr, mais cela a aussi provoqué des insatisfac­tions qui émergent maintenant parce qu’il n’y avait pas les bonnes plateforme­s pour les exprimer. Désormais, il faut utiliser cette crise pour avancer. Est-ce que la Raiffeisen est devenue trop grande? Trop grande par rapport aux processus et aux structures en place et qui n’ont pas évolué au même rythme que la croissance et les prises de participat­ions. D’où le besoin maintenant de dissociati­on.

La banque doit-elle abandonner sa forme coopérativ­e? Cette forme est très importante pour Raiffeisen. Il n’est dans l’intérêt de personne de la changer au niveau des banques. Elle fait partie de leur ADN et leur permet une proximité avec les clients/sociétaire­s. En revanche, on peut discuter de la forme de Raiffeisen Suisse. La Finma estime qu’une société anonyme permettrai­t une meilleure gouvernanc­e et un accès facilité aux marchés financiers. Nous étudions cela.

«La Finma estime qu’une société anonyme permettrai­t une meilleure gouvernanc­e et un accès facilité aux marchés financiers. Nous étudions cela»

Comment s’est passée la démission de Patrik Gisel? Le rapport de la Finma, qui a soulevé le problème des crédits, a changé l’équation. Le fait que la direction était au courant s’est ajouté au scepticism­e qui entourait déjà Patrik Gisel en raison de son statut d’adjoint de Pierin Vincenz pendant treize ans. A notre connaissan­ce, Patrik Gisel n’a pas commis de faute. Mais ce scepticism­e est là. Et il était la cible de certains médias. Sans le vouloir, il empêchait donc une sortie de la crise. Même s’il a bien fait son travail. Il a donc proposé de se retirer.

Ce départ n’était-il pas inévitable pour tourner la page de l’affaire Pierin Vincenz? C’est vrai qu’il était difficile pour Patrik Gisel de rester. D’un côté, il y a les faits: il n’y a rien contre lui jusqu’à maintenant. L’enquête interne n’est pas terminée. En outre, les affaires vont bien, même dans cette période de transition. Nous voulions renouveler le conseil d’administra­tion tout en assurant la stabilité de la direction. Mais de l’autre côté, la perception des problèmes s’est modifiée. Il n’était plus libre de prendre des décisions. Il faut que la banque se détache de cette affaire, on ne peut pas le nier.

La recherche d’un remplaçant a-t-elle déjà commencé? Nous auditionno­ns des cabinets de chasseurs de têtes pour nous aider dans cette recherche. Mais nous avons déjà reçu des candidatur­es, de l’interne et de l’externe, dès le jour de l’annonce de la démission.

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(RENÉ RUIS POUR LE TEMPS) «Etre président n’était pas forcément mon souhait. C’était nécessaire. Il fallait conduire la banque et il n’y avait pas de plan B», explique Pascal Gantenbein, président ad interim de Raiffeisen.

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