Le Temps

La terre se réchauffe, le vin se corse

- MONIQUE CASTRO

A cause du réchauffem­ent, le raisin mûrit plus vite, contient plus de sucre et donne des vins plus forts. Dans le sud de la France, le plus impacté, on recherche des solutions pour s’adapter aux changement­s, quitte à corriger les arômes et la teneur en alcool.

Le réchauffem­ent donne des vins de plus en plus alcoolisés. Si en Suisse on voit pour l’instant ce changement d’un bon oeil, dans le sud de la France, où les degrés explosent, chercheurs et viticulteu­rs doivent s’adapter

Réchauffem­ent climatique oblige, le raisin est de plus en plus sucré et les vins plus alcoolisés. La tendance se confirme particuliè­rement dans les zones les plus chaudes. Dans le sud de la France, les raisins mûrissent plus vite si bien que les vendanges sont parfois avancées de deux à trois semaines. Le vin est passé de 11,5 degrés en moyenne dans les années 1980, à 14 parfois 15 degrés aujourd'hui. Outre leur impact sur les arômes du breuvage, les températur­es à la hausse ont des conséquenc­es parfois bien plus néfastes, comme lors de la sécheresse de 2016 qui a entraîné 110 millions d'euros de perte.

Si l'on en croit les scénarios les plus catastroph­istes, en l'occurrence une étude américaine publiée en 2013 dans la revue PNAS, le vignoble occitan, comme beaucoup d'autres en Europe, aura complèteme­nt disparu à l'horizon 2050.

«Ce scénario est faussé car il est statique. Il n'a pas pris en compte la capacité d'adaptation des viticulteu­rs, des cépages et des cultures», explique Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomiqu­e (INRA) à Montpellie­r et coanimateu­r du projet Laccave sur l'adaptation des vignobles français au changement climatique.

Désalcooli­sation

Depuis 2012, ce projet de recherche regroupe 24 laboratoir­es français en agronomie, oenologie, climatolog­ie ou génétique. Ceux-ci travaillen­t en étroite collaborat­ion avec des viticulteu­rs comme ceux de Banyuls dans les Pyrénées-Orientales, qui pour avoir un vin moins puissant ont modifié l'exposition au soleil du vignoble, ou bien encore ceux du pic SaintLoup dans l'Hérault qui ont déaplacé leurs vignes en altitude.

Autre approche, la désalcooli­sation est de plus en plus pratiquée. Les chercheurs ont mis au point une technique qui permet d'intervenir directemen­t sur le vin, grâce à un système de filtres, qui permet d'enlever jusqu'à 20% de la teneur en alcool sans ajouter de produits. Des opérations rendues légales en France en 2011 et qui sont réalisées par une unité mobile appartenan­t à un prestatair­e privé, qui se déplace dans les châteaux ou les caves. La même démarche est possible pour la correction de l'acidité et des arômes qui sont aussi des conséquenc­es du réchauffem­ent climatique.

«La manière de faire du vin devient de plus en plus technologi­que, reconnaît Jean-Marc Touzard. On est capable de contrôler la vinificati­on avec une gamme plus étendue de processus qui tendent à conduire le vin vers un produit industriel.» Or le vin est une histoire de terroir, d'hommes, de savoir-faire que défendent de nombreux viticulteu­rs. La question n'est pas tant de savoir s'il y aura du vin en 2050 dans le sud de la France, mais quel type de vin et de quelle manière serons-nous capables de le produire.

Nouveau cépage suisse

En Suisse, le mercure n'a pas atteint les sommets du sud de la France… pour le moment. Pour l'heure, les viticulteu­rs se réjouissen­t plutôt du degré d'alcool gagné ces cent dernières années, de la régularité des récoltes et de la bonne maturation des raisins. Mais certains viticulteu­rs du Valais commencent parfois à produire des vins plus alcoolisés, qui arrivent à maturité très tôt, début septembre, voire fin août. «Quand ils replantent des cépages précoces tels que le pinot noir, on leur recommande de choisir des parcelles en altitude ou moins exposées au soleil», dit Vivian Zufferey, responsabl­e suppléant de la viticultur­e à l'Agroscope de Pully.

Les viticulteu­rs suisses sont de plus en plus tentés de planter des cépages mieux adaptés aux températur­es plus élevées, des variétés méridional­es telles que le merlot ou le cabernet sauvignon, principaux cépages des vins de Bordeaux. «On attire leur attention sur la nécessité de bien choisir les terroirs, précise

«La manière de faire du vin devient de plus en plus technologi­que»

JEAN-MARC TOUZARD, DIRECTEUR DE RECHERCHE À L’INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE AGRONOMIQU­E (INRA)

Vivian Zufferey. On leur conseille de privilégie­r les plus chauds, ceux qui sont bien exposés.»

Surtout, ce que le réchauffem­ent nous réserve demeure opaque. Les étés seront-ils secs ou humides? Sans compter que gel et pluies abondantes seront toujours à craindre. Les chercheurs de l'Agroscope travaillen­t sur les indicateur­s de stress hydrique avec les viticulteu­rs. Ces derniers se sont équipés d'instrument­s permettant de mesurer facilement l'humidité des plantes, testent de nouveaux cépages et de nouvelles manières de tailler les pieds ou de garder des feuilles pour ne pas épuiser la vigne.

La première préoccupat­ion demeure la lutte contre les maladies fongiques: oïdium, mildiou ou botrytis (pourriture grise). Des fléaux contre lesquels les chercheurs de l'Agroscope ont trouvé une parade avec la création du divico, un cépage résistant aux maladies fongiques et pouvant s'adapter au changement climatique. Mis sur le marché en 2013, il donne un vin rouge tannique compatible avec tous les terroirs. «Mais est-il assez original? s'interroge Vivian Zufferey. Ce qui est sûr, c'est qu'il faudra créer une histoire autour de ce vin.» Et que ça prend du temps!

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Dans le sud de la France, les raisins mûrissent désormais plus vite et les vendanges sont parfois avancées de deux à trois semaines.

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