Le Temps

Au pays des elfes

S’évader en terres elfiques sans quitter la Suisse, c’est possible. Comme sorties du «Seigneur des anneaux», les grottes de Saint-Béat, dans les Alpes bernoises, offrent une similitude avec la Terre du Milieu

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Avec un vieux monastère taillé dans une falaise, des dizaines de cascades pittoresqu­es et un dragon légendaire à l’intérieur de la montagne, les grottes de Saint-Béat, au-dessus du lac de Thoune, auraient pu plaire aux Hobbits. Elles ont en tout cas séduit les Celtes, Goethe, Byron et Wagner. Bienvenue en Terre du Milieu suisse.

Au pied du massif bernois du Niederhorn, un vieux monastère s’accroche à la falaise. Comme sorti de l’imaginatio­n de Tolkien, le lieu évoque Fondcombe, demeure imaginaire des elfes. A l’instar du jardin d’Elrond, le complexe est souligné par des dizaines de petites cascades, qui jaillissen­t au bas de ses arches de pierre. Elles ruissellen­t le long de la pente pour aller se déverser dans le lac de Thoune, situé en contrebas. Entouré d’une végétation moussue, le bâtiment tarabiscot­é est uniquement accessible par un chemin escarpé parsemé de pontons en bois. Il garde l’entrée d’un dédale de grottes, royaume souterrain où vivait un dragon.

Le dragon et le premier apôtre

Si on peut désormais visiter ce royaume souterrain, c’est peut-être grâce à saint Béat. «Arrivé dans la région il y a environ 1900 ans, raconte notre guide, saint Béat aurait été le premier apôtre de Suisse, envoyé d’Irlande au-delà des Alpes pour prêcher la bonne parole et convertir les Helvètes au christiani­sme.» Invité à s’établir sur place avec son disciple par les habitants, le saint homme ne veut pas faire peser sa présence sur la population et demande qu’on lui désigne une grotte environnan­te où habiter. «Un tel endroit existait justement, poursuit la guide, mais il était habité par un terrible dragon.» Contre l’avis des habitants, saint Béat décidait alors d’aller – seul – affronter la bête.

Au lever du jour, le prêcheur sans peur aurait donc traversé le lac en barque et gravi la montagne. Arrivé à l’entrée des grottes, le monstre crachant l’attendait. Tel Gandalf barrant le passage au Balrog dans la Moria, il aurait alors levé son sceptre en direction du monstre en lui intimant – au nom de Dieu tout-puissant – de vider les lieux. Impuissant face aux forces divines, le dragon aurait poussé un retentissa­nt hurlement de rage, avant d’aller s’écraser dans le lac dont les eaux calmes – dit la légende – se seraient mises à bouillonne­r. Cet acte de bravoure aurait par la suite aidé l’homme et son disciple à évangélise­r la populace, qui, ébahie par tant de force divine, embrassa le christiani­sme puis l’aida à construire une petite église ainsi qu’à s’installer à l’entrée des cavernes. Sa chambrette troglodyte, où il aurait résidé jusqu’à l’âge canonique de 90 ans, y est encore visible.

La légende de l’auguste Irlandais nous est parvenue grâce à Daniel Agricola, frère franciscai­n bâlois, qui la consigna en 1511. Sa version est toutefois remise en cause par les historiens. Saint Béat était-il véritablem­ent le premier apôtre? Il se pourrait bien que non. Si les spécialist­es estiment que l’homme a bel et bien existé et habité dans la région, il pourrait en fait plutôt s’agir du fondateur du cloître d’Interlaken, qui, devenu ermite près des grottes, fut ensuite sanctifié à sa mort. Cette alternativ­e historique situerait l’authentiqu­e Béat plus d’un millénaire après sa légende. Mais les elfes ne sont-ils pas immortels? Seul un coup d’oeil dans un

palantir pourrait nous renseigner.

Une certitude toutefois: avec ou sans dragon (mais sûrement avec), les spectacula­ires grottes dissimulée­s derrière le discret monastère sont connues des hommes depuis fort longtemps. Formées il y a plus de 350 000 ans, plusieurs objets préhistori­ques ont été retrouvés à leurs abords et les Celtes, qui considérai­ent les cavernes comme des lieux sacrés, seraient également passés par là. Devenus lieu de pèlerinage à la mort de saint Béat, les souterrain­s naturels ont été murés par la Berne réformatri­ce au XVe siècle. C’est l’ouverture de l’Oberland bernois au tourisme qui les fera ressortir de l’anonymat trois cents ans plus tard. Plusieurs hôtes prestigieu­x viennent alors contempler les stalactite­s, dont les poètes allemand et britanniqu­e Goethe et Lord Byron ou encore le très célèbre compositeu­r classique Richard Wagner.

Le signal des anneaux

En 1903, devant l’afflux de visiteurs étrangers, le directeur de l’office du tourisme de l’époque décide de monter une coopérativ­e pour permettre au grand public de venir découvrir les beautés souterrain­es des grottes, dont les aménagemen­ts intérieurs ne cesseront de s’améliorer jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, un kilomètre de chemin balisé permet – avec ou sans guide – d’aller découvrir lacs souterrain­s, stalagmite­s millénaire­s et, qui sait, d’entraperce­voir furtivemen­t Gollum polissant son «précieux» dans l’obscurité.Il pourrait toutefois ne pas être facile de débusquer la créature à moins de très bonnes connaissan­ces en spéléologi­e, les grottes se poursuivan­t – sans lumière – sur 14 kilomètres à l’intérieur de la montagne. A moins que le Hobbit déchu ne se soit mis aux nouvelles technologi­es, puisqu’une partie des cavernes dispose désormais du wifi. Cet investisse­ment technologi­que pourrait sans nul doute également s’avérer pratique pour donner l’alerte en Terre du Milieu si le dragon venait à ressurgir du lac.

La semaine prochaine: ces entreprise­s suisses à la pointe de la technologi­e

LA LÉGENDE CONTE QUE POUR VIVRE DANS LES GROTTES, SAINT BÉAT AURAIT LEVÉ SON BÂTON ET CHASSÉ LE DRAGON

 ?? (KALPANA KARTIK/ALAMY STOCK PHOTO) ?? Tel un enchanteme­nt, le monastère nous replonge dans l’univers des elfes.
(KALPANA KARTIK/ALAMY STOCK PHOTO) Tel un enchanteme­nt, le monastère nous replonge dans l’univers des elfes.

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