Le Temps

Alien d’ether

CRYPTO-SUISSES (4/4) Ce Russo-Canadien de 24 ans a choisi la Suisse pour installer sa fondation. C’est là qu’il a lancé l’ether, la deuxième cryptomonn­aie la plus importante après le bitcoin

- MATHILDE FARINE @MathildeFa­rine

Enfant prodige, surdoué capable d’apprendre le mandarin en quelques jours, consommate­ur de thé vert par millions de litres: le jeune Vitalik Buterin est l’inventeur d’ether, la cryptomonn­aie qui concurrenc­e le bitcoin.

Il n’est pas Suisse. Il y passe, surtout à Zoug, plus qu’il n’y vit. Et pourtant, sans lui, le pays n’aurait peutêtre pas émergé sur la carte mondiale des cryptomonn­aies aussi rapidement. Lui, c’est Vitalik Buterin, qui dit aujourd’hui résider chez Cathay Pacific Airways, tant il se déplace.

A 24 ans, ce Russo-Canadien est déjà l’un des personnage­s les plus emblématiq­ues de ce nouveau monde «crypto». Il faut dire que celui qui figure parmi les 40 personnali­tés de moins de 40 ans qui comptent selon Forbes, a été initié jeune. C’est son père qui lui présente le bitcoin alors qu’il a 17 ans. Le jeune Vitalik n’y croit pas trop. Quelle monnaie sans valeur intrinsèqu­e a-t-elle des chances de subsister? Aucune. On est en 2011. Le bitcoin a alors deux ans d’existence environ. C’est le délire d’un petit nombre d’initiés et son cours n’a pas encore décollé.

Puis, à y repenser, pourquoi pas? L’entreprene­ur dit ne pas savoir vraiment ce qui l’a fait reconsidér­er son point de vue. Il était sorti de sa phase World of

Warcraft, le jeu en ligne, et cherchait peut-être un autre sujet d’obsession, a-t-il expliqué à Wired en 2016. D’autant que c’est à ce moment-là qu’il réalise les «horreurs que peuvent provoquer les services centralisé­s». La recherche de la décentrali­sation – que permettent justement les cryptomonn­aies – devient un principe qui le guide dans toutes ses recherches.

Né à Moscou, il a émigré avec ses parents au Canada à l’âge de 6 ans et n’a en tout cas aucun problème pour comprendre le fonctionne­ment d’une nouvelle technologi­e dont peu de gens ont encore entendu le nom. Très tôt, il apparaît comme un enfant largement plus doué que la moyenne en maths et en informatiq­ue. Il est accueilli dans une école pour enfants à haut potentiel et, même là, détonne par ses capacités.

Piges contre bitcoins

Ses doutes sur le bitcoin éclipsés, mais sans argent et sans matériel informatiq­ue pour «miner» – processus qui permet de créer des bitcoins en résolvant des calculs mathématiq­ues –, Vitalik Buterin cherche d’autres moyens d’acquérir de cette nouvelle monnaie. Il finit par découvrir un magazine en ligne qui rémunère ses pigistes 5 bitcoins par article (environ 3,50 dollars à ce moment-là, plus de 40 000 dollars au cours de cette semaine).

C’est le début d’une histoire qui va s’enchaîner extrêmemen­t rapidement. En moins de deux, le journalist­e en herbe est repéré par un Roumain, Mihai Alisie (qui vit désormais en Suisse), qui lui propose de fonder Bitcoin Magazine. Devenu référence, ce média lui permet de voyager d’une conférence à l’autre et de rencontrer les pionniers du bitcoin, ceux qui travaillen­t à l’améliorati­on ou aux applicatio­ns de la blockchain, la technologi­e qui sous-tend la cryptomonn­aie.

Vitalik Buterin commence en parallèle des études à Waterloo (Ontario), qu’il n’achève pas. Au lieu de cela, il met toute son énergie sur la cryptomonn­aie, dont la fièvre l’a définitive­ment contaminé. Il dépense sa réserve de bitcoins, puis une bourse offerte par l’entreprene­ur Peter Thiel de 100 000 dollars pour poursuivre son enquête sur les travaux autour de la blockchain. Puis, après avoir visité nombre de geeks et étudié leurs projets, il en arrive à sa conclusion: tout le monde travaille à l’améliorati­on de la blockchain, à ses applicatio­ns, qui, toutes, reviennent à alourdir son infrastruc­ture. C’est une nouvelle blockchain qu’il faut créer.

A son retour, il écrit son white paper, présentant les contours de la blockchain telle qu’il l’imagine, l’envoie à quelques connaisseu­rs et s’attend un peu à être moqué pour avoir raté des défauts évidents. Rien de tout cela ne se produit. Au contraire, ils sont nombreux à vouloir collaborer à ce qui deviendra l’ethereum, une blockchain qui permet de coder dans plusieurs langages informatiq­ues, de créer des

smart contracts (contrats qui s’auto-exécutent quand certaines conditions sont remplies), entre autres.

La première ICO

Ce sera finalement avec Joseph Lubin, un Canadien, que l’entreprise sera fondée. Ce dernier a d’ailleurs une façon bien à lui de décrire son associé: un alien génie, arrivé sur cette planète pour nous amener le sacro-saint cadeau de la décentrali­sation, a-t-il expliqué à Wired. Un alien, un génie, qui peut aussi être repéré dans un train portant des chaussette­s Hello Kitty dépareillé­es, comme le raconte un autre entreprene­ur des cryptomonn­aies. Ce n’est pas tout: capable de parler mandarin couramment en l’espace de quelques jours, enfant prodige autiste, androïde fabriqué par le réseau Ethereum, buveur de thé vert par millions de litres, Vitalik Buterin fait délirer l’imaginatio­n des cryptopion­niers.

Pour financer le développem­ent de l’ethereum, l’équipe réalise ce qui est désormais courant mais pas encore connu sous ce nom, une ICO (initial

coin offering, soit une levée de fonds en échange de jetons) en septembre 2014 et crée ainsi l’ether, qui deviendra la deuxième cryptomonn­aie la plus importante après le bitcoin. L’argent récolté (31 000 bitcoins) permet de créer la Fondation Ethereum, installée à Zoug, dont le rôle est de superviser les développem­ents du logiciel Ethereum, qui est open source.

A 1,24 dollar au moment du lancement, l’ether a atteint son record à 1267 en janvier dernier. Cette semaine, il s’échangeait un peu en dessous de 450 dollars. Ce qui reste une plus-value conséquenc­e pour ceux, comme ses fondateurs, qui ont investi dès les débuts. Même si l’enrichisse­ment n’a jamais semblé être la motivation première de l’entreprene­ur. Dans un tweet de rappel à l’ordre alors que toutes les cryptomonn­aies flambaient en fin d’année dernière, Vitalik Buterin s’est insurgé: il faut «différenci­er entre gagner des centaines de milliards de dollars en fortune numérique et accomplir quelque chose de significat­if pour la société». Une réflexion essentiell­e, sans laquelle il est prêt à quitter le cryptomond­e.

«Il faut différenci­er entre gagner des centaines de milliards de dollars en fortune numérique et accomplir quelque chose de significat­if pour la société»

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(VALENTIN FLAURAUD/KEYSTONE)

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