Le Temps

Bâle-YB, vers le grand remplaceme­nt?

Il n’y a qu’une seule chose qui serait pire pour le FC Bâle que son éliminatio­n de la Ligue des champions: que Young Boys s’y qualifie dans quatre semaines. Une domination de huit ans sur le football suisse pourrait alors basculer d’un coup

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Le FC Bâle a perdu plus qu’un match et un peu de son honneur en s’inclinant mercredi 1er août 0-3 à domicile face au PAOK Salonique. Devant 14000 spectateur­s à peine, les Bâlois ont dit adieu à la Ligue des champions dès le deuxième tour qualificat­if. Il en restait un troisième, puis un barrage, mais comme l’a dit l’intérimair­e Alex Frei, «[Bâle] n’avait rien à espérer en Ligue des champions cette saison».

La tâche du nouvel entraîneur Marcel Koller (accueilli mercredi soir par des banderoles hostiles, au prétexte qu’il est d’origine zurichoise et ancienne figure de Grasshoppe­r) sera d’autant plus délicate qu’il récupère un club qui n’a plus grand-chose à voir avec le géant national qui gagnait tout de 2010 à 2017 – huit titres de champion consécutif­s, trois fois qualifié pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions (2012, 2015, 2018), demi-finaliste de la Ligue Europa en 2013.

Ce n’est pas la première fois que le FC Bâle échoue à se qualifier pour la Ligue des champions. En août 2012, les Bâlois se noyaient en barrage face à Cluj. Reversés en Ligue Europa, ils se hissaient jusqu’en demi-finale, seulement battus par le futur vainqueur, Chelsea. Ce qui leur permit de vendre Mohamed Salah pour 16 millions d’euros au club londonien. Une bonne année, finalement.

En 2015, l’éliminatio­n au même stade des barrages face au Maccabi Tel-Aviv (2-2, 1-1) fut atténuée par l’éclosion du phénomène Breel Embolo, transféré à Schalke 04 pour 22,5 millions d’euros neuf mois plus tard. En août 2015, Bâle savait également que le champion de Suisse 2016 serait directemen­t qualifié pour la phase de poule de la Ligue des champions 2016-2017. Le chiffre d’affaires du club chuta ainsi de 105,2 millions en 2014 à 92,5 millions en 2015 mais atteignit un record à 132,3 millions en 2016.

29% des abonnés ne viennent pas au match

Cette fois, les choses sont bien différente­s. D’abord parce que Bâle a perdu le titre, à 15 points de Young Boys. Ensuite parce que si le club continue de réaliser une grosse vente par mercato – Manuel Akanji (21,5 millions) cet hiver, Mohamed Elyounouss­i (18 millions) cet été – l’équipe ne cesse de s’affaiblir depuis trois saisons. Bâle n’est plus ce club qui pouvait signer Salah, Elneny et Schär en un été (2012) pour un peu plus de 3 millions. Enfin parce que les dirigeants ont identifié un essoufflem­ent général matérialis­é par de mauvais résultats sportifs en Coupe d’Europe, la disparitio­n progressiv­e de joueurs du cru dans l’effectif profession­nel, une baisse de 5% de la vente des abonnement­s et de 30% du business VIP, ainsi qu’un taux assez inquiétant de 29% de «no show», c’est-àdire une masse de 7808 abonnés qui ne viennent pas aux matchs.

Alors qu’il fêtait un doublé, le club osa se remettre en question en 2017 et orienta une nouvelle politique basée sur les jeunes, un jeu spectacula­ire et le retour à une identité bâloise. C’est à ce jour un échec total, que l’on peut expliquer par l’arrivée au même moment, à tous les postes de direction (président, directeur sportif, conseiller, entraîneur, entraîneur adjoint), de personnes sans expérience à ce niveau. Raphaël Wicky, entraîneur licencié la semaine dernière, fut le premier à sauter, mais Marco Streller, le directeur sportif, est le prochain sur la liste.

Avec une moyenne de 27000 spectateur­s et un chiffre d’affaires estimé entre 80 et 90 millions de francs, le FC Bâle plane toujours très au-dessus de ses concurrent­s suisses. Cela ne veut pas dire qu’il a plus de marge. En 2015, le FC Bâle comptait 227 salariés, dont 60 pour l’équipe première, dont 32 joueurs, pour une masse salariale globale de 45 millions de francs en hausse de 22% sur les deux précédente­s saisons. Il fut décidé de mettre un frein à ce train de vie dispendieu­x. «La gestion des coûts demeure une priorité absolue», réaffirmai­t Mirko Brudermann, directeur Finance & Comptabili­té, dans ses commentair­es au bilan comptable 2017. «L’objectif reste d’éviter tout risque, ou de garder ce risque maîtrisabl­e grâce à des mesures ciblées et un contrôle constant à tout moment.»

Le FC Bâle est devenu une énorme machine qu’il faut continuer d’alimenter à coups de transferts, de primes de l’UEFA, de droits TV. L’équipe peut encore se qualifier pour la phase de poule de la Ligue Europa (elle connaissai­t son adversaire, de Viitorul Constanta ou de Vitesse Arnhem, jeudi soir) mais il y a un gouffre entre la Ligue des champions et la Ligue Europa, et il ne cesse de se creuser. Les gains versés par l’UEFA aux participan­ts de la Ligue des champions seront cette saison en hausse de 30%.

Une participat­ion à la phase de poule garantit 15,25 millions d’euros, contre seulement 2,92 millions d’euros en Ligue Europa. En Ligue des champions, une victoire rapporte 2,7 millions supplément­aires, un match nul 900000 euros, une qualificat­ion pour la phase finale 9,5 millions. La Ligue Europa propose 570000 euros pour une victoire, 190000 euros pour un match nul, 500000 euros pour une qualificat­ion. Une équipe qui irait en huitièmes de finale avec un bilan moyen (2 victoires, 2 nuls, 2 défaites) gagnerait ainsi 32 millions dans un cas et 7 millions dans l’autre.

L’impact supérieur de la Ligue des champions se mesure dans au moins trois autres postes budgétaire­s: la billetteri­e, les droits TV, les transferts. La valorisati­on des joueurs y est sans pareille. En marquant deux buts contre le Real Madrid et Porto, le Paraguayen Derlis Gonzalez permit à Bâle de faire une plus-value de 6,4 millions en une saison (2014-2015). Dans son rapport annuel 2017, le club souligne la forte disparité des recettes selon le prestige des adversaire­s, y compris en Ligue des champions: 1,5 million de francs de moins en 2017 (Benfica, Manchester United) qu’en 2016 (PSG, Arsenal).

Young Boys peut toucher le jackpot

On l’a oublié mais l’hégémonie bâloise a tenu à peu de chose. En mai 2011, le champion en titre se déplace chez le FC Zurich, titré en 2006, 2007 et 2009 et leader du classement à trois journées de la fin. Zurich domine mais concède le match nul (2-2). Une semaine plus tard, il perd le derby contre GC et laisse filer le titre. C’est l’année où le champion de Suisse est directemen­t qualifié pour la Ligue des champions. Zurich réduit son budget de 26 à 20 millions de francs. A Bâle, Xherdan Shaqiri, désigné

On l’a oublié mais l’hégémonie bâloise a tenu à peu de choses

meilleur joueur de la saison, «ne [peut] pas promettre qu’[il va] rester». Il reste et contribue grandement (deux passes décisives) à la qualificat­ion pour les huitièmes de finale aux dépens de Manchester United le 8 décembre. En février 2012, juste avant le huitième de finale FC Bâle-Bayern Munich, les deux clubs se mettent d’accord pour le transfert en fin de saison de Shaqiri pour 12,5 millions. Granit Xhaka, lui, part à Mönchengla­dbach pour 9 millions. De son côté, le FCZ, largué en championna­t, a acheté durant l’hiver pour 150000 francs et vendu pour 14 millions (Ricardo Rodriguez, Admir Mehmedi, Xavier Margairaz, Dusan Djuric, Alexandre Alphonse). Les Zurichois termineron­t à 33 points du FC Bâle.

Aujourd’hui, Young Boys rêve de refaire le même coup. Ces dernières années, les Bernois ont montré plus de savoir-faire (ou de réussite) dans la gestion des transferts, ce qui leur a permis de combler leur retard. Durant l’été 2017, YB a vendu trois titulaires (Denis Zakaria, Yvon Mvogo et Yoric Ravet, tous trois en Bundesliga) pour un total de 21,5 millions d’euros. L’équipe ne s’est pas affaiblie puisqu’une petite partie seulement de cet argent (5,7 millions d’euros) a suffi pour recruter six très bons joueurs: Djibril Sow, Jean-Pierre Nsamé, Roger Assalé, Kevin Mbabu, Christian Fassnacht et Kasim Nuhu. Tous ont pris une part très active dans le titre de champion de Suisse. Leur valeur marchande cumulée est aujourd’hui estimée à 40,5 millions d’euros par le site spécialisé Transferma­rkt. Seul le défenseur ghanéen Kasim Nuhu est parti cet été à Hoffenheim, pour 8,5 millions d’euros.

Les autres ont choisi de rester, au moins jusqu’au barrage de la Ligue des champions. YB connaîtra son adversaire le 6 août et le rencontrer­a les 21/22 et 28/29 août en matchs aller-retour. Ce pourrait être (par exemple) contre le PSV Eindhoven, le Celtic Glasgow, l’Etoile Rouge de Belgrade ou le Red Bull Salzbourg. Ce pourrait être compliqué mais les Bernois auront leur chance.

En cas d’éliminatio­n, ils pourront toujours vendre un, voire deux joueurs pour équilibrer les comptes sans trop s’affaiblir. En cas de qualificat­ion, la valeur marchande de l’ensemble a de bonnes chances de se lester de quelques millions supplément­aires. Qui compliquer­ont d’autant la reconquête du FC Bâle.

 ?? (GEORGIOS KEFALAS/ KEYSTONE) ?? Les joueurs du FC Bâle dépités après leur défaite 0-3 le 1er août à domicile face au PAOK Salonique.
(GEORGIOS KEFALAS/ KEYSTONE) Les joueurs du FC Bâle dépités après leur défaite 0-3 le 1er août à domicile face au PAOK Salonique.

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