RETOUR SUR 68
Le syndic de Lausanne dragué par le poly de Zurich
Beaucoup d’élèves romands de la deuxième moitié du XXe siècle se souviennent de leur «Chevallaz», soit de leur manuel d’Histoire générale de 1789 à nos jours,
dont la première édition a paru chez Payot en 1957, sous la plume du syndic de Lausanne et futur conseiller fédéral Georges-André Chevallaz. Ouvrage utilisé pendant trente ans dans l’enseignement mais très critiqué pour son approche, parce que constitué d’une accumulation de faits dépourvus de perspective historique, au service des seuls mythes fondateurs de la Suisse, notamment.
Mais dix ans plus tard, en 1968, on n’en est pas encore à ces critiques-là. Aussi est-ce un véritable cri de joie que pousse Franck Jotterand, le très estimé rédacteur en chef de la Gazette littéraire, le 3 août, lorsqu’il écrit que «l’Ecole polytechnique de Zurich témoigne» d’une belle volonté en appelant le politicien radical à donner des cours aux étudiants d’outre-Sa- rine. Pour lui, «ouvrir l’enseignement à des personnalités dont la carrière s’est faite en partie hors du circuit universitaire», c’est considérer, en l’occurrence, que «la politique peut être utile pour l’explication de la société contemporaine».
D’ailleurs, lors des obsèques de Georges-André Chevallaz à la cathédrale de Lausanne en 2002, «les avis étaient unanimes pour saluer la mémoire d’un homme de convictions», comme l’avait notamment exprimé Claude Frey, son secrétaire de 1972 à 1975. «Il réunissait des qualités rares, avait-il ajouté, comme le courage, la ténacité et une incroyable capacité de travail.» Le conseiller national neuchâtelois se souvenait également d’un Chevallaz doué d’ubiquité, présidant certaines séances d’une main tout en rédigeant un article de journal de l’autre.
«Sortir de l’isolement»
L’homme impressionnait, c’est indéniable. Même un Jotterand – pourtant d’un autre bord politique – qui juge aussi qu’«à l’heure où l’on réclame des réformes profondes», cet exemple de traversée de la barrière de rösti «pourrait être adopté par des universités suisses». L’alma mater, selon lui, «sortirait de son isolement», elle aurait enfin une chance d’échapper aux scléroses dont on l’accuse depuis les révoltes de Mai et de devenir «un des centres essentiels de la vie moderne, sous toutes ses formes, […] un lieu de culture autant que d’enseignement». On pourrait «imaginer ainsi que des écrivains, des musiciens, des hommes de théâtre et de cinéma, des artistes soient appelés à diriger des séminaires libres».
Et d’élargir encore le champ à d’autres domaines. La Gazette propose d’engager des ouvriers dans pareille tâche, qui «en apprendraient autant à des étudiants en sciences économiques qu’un directeur d’usine». Un médecin de campagne pourrait aussi «raconter à des candidats en médecine quels sont ses problèmes», une manière de lier «la théorie à la réalité». Tout comme «un sculpteur d’avantgarde» provoquerait «des discussions aussi utiles qu’un vieux routier de l’Institut».
Ces principes une fois acquis et une plus grande ouverture de l’esprit académique réclamée par tous réalisée, «la question se poserait de la liaison de l’université avec les Conservatoires de musique et d’art dramatique, et des institutions telles que la Cinémathèque suisse». Ces voeux ont été en partie exaucés depuis un demi-siècle, mais «le Chevallaz», lui, s’il figure encore dans quelques bibliothèques poussiéreuses, n’a vraiment plus du tout sa place dans les établissements scolaires de Suisse romande.