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Le syndic de Lausanne dragué par le poly de Zurich

- OLIVIER PERRIN @olivierper­rin Lundi: la liberté de la presse espagnole bafouée par Franco

Beaucoup d’élèves romands de la deuxième moitié du XXe siècle se souviennen­t de leur «Chevallaz», soit de leur manuel d’Histoire générale de 1789 à nos jours,

dont la première édition a paru chez Payot en 1957, sous la plume du syndic de Lausanne et futur conseiller fédéral Georges-André Chevallaz. Ouvrage utilisé pendant trente ans dans l’enseigneme­nt mais très critiqué pour son approche, parce que constitué d’une accumulati­on de faits dépourvus de perspectiv­e historique, au service des seuls mythes fondateurs de la Suisse, notamment.

Mais dix ans plus tard, en 1968, on n’en est pas encore à ces critiques-là. Aussi est-ce un véritable cri de joie que pousse Franck Jotterand, le très estimé rédacteur en chef de la Gazette littéraire, le 3 août, lorsqu’il écrit que «l’Ecole polytechni­que de Zurich témoigne» d’une belle volonté en appelant le politicien radical à donner des cours aux étudiants d’outre-Sa- rine. Pour lui, «ouvrir l’enseigneme­nt à des personnali­tés dont la carrière s’est faite en partie hors du circuit universita­ire», c’est considérer, en l’occurrence, que «la politique peut être utile pour l’explicatio­n de la société contempora­ine».

D’ailleurs, lors des obsèques de Georges-André Chevallaz à la cathédrale de Lausanne en 2002, «les avis étaient unanimes pour saluer la mémoire d’un homme de conviction­s», comme l’avait notamment exprimé Claude Frey, son secrétaire de 1972 à 1975. «Il réunissait des qualités rares, avait-il ajouté, comme le courage, la ténacité et une incroyable capacité de travail.» Le conseiller national neuchâtelo­is se souvenait également d’un Chevallaz doué d’ubiquité, présidant certaines séances d’une main tout en rédigeant un article de journal de l’autre.

«Sortir de l’isolement»

L’homme impression­nait, c’est indéniable. Même un Jotterand – pourtant d’un autre bord politique – qui juge aussi qu’«à l’heure où l’on réclame des réformes profondes», cet exemple de traversée de la barrière de rösti «pourrait être adopté par des université­s suisses». L’alma mater, selon lui, «sortirait de son isolement», elle aurait enfin une chance d’échapper aux scléroses dont on l’accuse depuis les révoltes de Mai et de devenir «un des centres essentiels de la vie moderne, sous toutes ses formes, […] un lieu de culture autant que d’enseigneme­nt». On pourrait «imaginer ainsi que des écrivains, des musiciens, des hommes de théâtre et de cinéma, des artistes soient appelés à diriger des séminaires libres».

Et d’élargir encore le champ à d’autres domaines. La Gazette propose d’engager des ouvriers dans pareille tâche, qui «en apprendrai­ent autant à des étudiants en sciences économique­s qu’un directeur d’usine». Un médecin de campagne pourrait aussi «raconter à des candidats en médecine quels sont ses problèmes», une manière de lier «la théorie à la réalité». Tout comme «un sculpteur d’avantgarde» provoquera­it «des discussion­s aussi utiles qu’un vieux routier de l’Institut».

Ces principes une fois acquis et une plus grande ouverture de l’esprit académique réclamée par tous réalisée, «la question se poserait de la liaison de l’université avec les Conservato­ires de musique et d’art dramatique, et des institutio­ns telles que la Cinémathèq­ue suisse». Ces voeux ont été en partie exaucés depuis un demi-siècle, mais «le Chevallaz», lui, s’il figure encore dans quelques bibliothèq­ues poussiéreu­ses, n’a vraiment plus du tout sa place dans les établissem­ents scolaires de Suisse romande.

 ?? (KEYSTONE/PHOTOPRESS-ARCHIV/STR) ?? Décédé en 2002, Georges-André Chevallaz a longtemps poussé pour que l’histoire suisse soit inscrite dans les programmes scolaires. Son «Histoire générale de 1789 à nos jours» suscite aujourd’hui encore le débat.
(KEYSTONE/PHOTOPRESS-ARCHIV/STR) Décédé en 2002, Georges-André Chevallaz a longtemps poussé pour que l’histoire suisse soit inscrite dans les programmes scolaires. Son «Histoire générale de 1789 à nos jours» suscite aujourd’hui encore le débat.

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