Le Temps

L’énigme du dieu singe et une cité perdue

Une cité perdue, une malédictio­n qui frappe ceux qui partent à sa recherche, des trésors cachés et des narcotrafi­quants: l’histoire de la Cité du dieu singe ressemble à un «Indiana Jones». Mais les archéologu­es restent sceptiques

- DENIS DELBECQ @effetsdete­rre

L’histoire de Ciudad Blanca, enfouie dans la jungle du Honduras, est digne d’un épisode d’Indiana Jones. Une forêt tropicale impénétrab­le, peuplée de prédateurs, de serpents et d’insectes capables d’inoculer la lèpre blanche, abriterait les vestiges d’une civilisati­on disparue et une immense statue d’un dieu singe. Mais une malédictio­n semble guetter ceux qui s’y aventurent…

C’est un endroit où vous ne vous aventurere­z jamais, pas même pour assouvir une impérative soif de frissons. Dans le nord-est du Honduras, à deux pas du Nicaragua, la Mosquitia est une jungle brumeuse impénétrab­le, où vêtements et peau sont lacérés par une végétation épineuse; une région infestée de serpents redoutable­s, de féroces prédateurs dont jaguars et pumas et surtout d’insectes aussi nombreux que néfastes. C’est notamment le territoire d’un phlébotome – une petite mouche d’une paire de millimètre­s – capable d’inoculer d’une seule piqûre l’une des formes les plus terribles de la leishmanio­se, ou lèpre blanche, une maladie qui grignote les chairs et dont on ne guérit que par miracle. Une région fréquentée, aussi, par les narcos qui profitent de ce désert luxuriant pour y tracer de discrètes pistes pour leurs avions transporta­nt de la cocaïne.

Et pourtant, cet enfer terrestre abriterait, selon la légende amérindien­ne, les vestiges d’une vaste civilisati­on disparue, et notamment la Cité du dieu singe, surnommée ainsi depuis une expédition dans la région dans les années 1930, au cours de laquelle des explorateu­rs ont prétendu qu’il existait une cité avec une immense statue d’un dieu singe.

Elle est également baptisée Ciudad Blanca. Une cité parée de mille trésors par les récits anciens. On dit même que le célèbre conquistad­or Cortès aurait tenté de la découvrir. Cinq siècles durant, des aventurier­s ont bravé la malédictio­n de mort supposée frapper les visiteurs de cette cité perdue. Certains y ont laissé leur peau, tous sont revenus bredouille­s jusqu’à ce jour de février 2015 où un petit groupe d’explorateu­rs et son escorte lourdement armée – des troupes d’élite hondurienn­es et des mercenaire­s, anciens du SAS et rompus à la survie et au combat dans la jungle – ont posé le pied dans une petite clairière.

Après des décennies d’efforts, Steve Elkins, un ancien producteur de télévision devenu explorateu­r, a enfin réalisé son rêve: fouler le sol d’une cité disparue. Il était accompagné, entre autres, d’un archéologu­e réputé, Chris Parker, de l’Université d’Utah, et flanqué de témoins chargés de narrer l’aventure dans le magazine National Geographic, le photograph­e David Yoder et surtout le journalist­e et romancier Douglas Preston. Celui-ci a prolongé ses articles d’un livre haletant, dont les versions en français et en espagnol viennent de paraître aux Editions Albin Michel. Une armada de gringos au coeur du Honduras et de ses fantasmes de trésors cachés, racontée dans un ouvrage qui floute habilement la frontière entre faits et mythes.

«J’ai fréquenté de nombreuses jungles du monde, notamment en Asie et en Amérique centrale, mais je n’ai jamais vécu cela, nous raconte Douglas Preston. C’est un endroit majestueux, parfaiteme­nt vierge de toute présence humaine. Les ani- maux n’ont j amais rencontré l’homme, ils n’en ont pas peur. Il n’y a pas de village à des dizaines de kilomètres alentour, et il est impossible de s’y rendre à pied, car le site est entouré de murailles naturelles infranchis­sables.» Une impression confirmée, en 2017, par une expédition de biologiste­s de l’organisati­on environnem­entaliste Conservati­on Internatio­nal. En attendant que les résultats soient publiés, Trond Larsen, le chef de l’expédition, a témoigné sur son blog de la présence de nombreuses espèces inconnues de papillons, d’amphibiens, de chauve-souris et d’un serpent que l’on croyait éteint depuis 1965.

Pilleur de tombes

Tout a commencé en 2010: après vingt années d’enquête infructueu­se pour retrouver la Ciudad Blanca, Steve Elkins découvre dans la revue Archaeolog­y comment la cité maya de Caracol, au Belize, a été cartograph­iée avec un laser aéroporté, un lidar. Il convainc les universita­ires américains qui possèdent cet outil d’aller survoler une partie de la Mosquitia, dans les zones qui lui semblent les plus susceptibl­es d’héberger une ancienne cité. Grâce à un intermédia­ire américain installé au Honduras, un ancien trafiquant et pilleur de sites archéologi­ques au carnet d’adresses bien garni, Elkins obtient le feu vert du président hondurien Porfirio Lobo. L’opération aérienne a lieu en 2012, à la suite de laquelle Elkins se rapproche de l’archéologu­e Chris Parker, qui comprend sur les clichés que deux zones baptisées T1 et T3 semblent abriter de vastes ensembles architectu­raux sous la canopée.

Trois ans plus tard, tous deux se retrouvent à fouler le sol de l’ancienne cité T1, qui semble avoir été abandonnée par ses habitants au milieu du XVIe siècle. Avec notamment une vaste esplanade, une structure qui pourrait être un terrain de jeu de balle, sport rituel courant dans les civilisati­ons précolombi­ennes, et des restes d’habitation­s juchées sur des talus. Le tout invisible à l’oeil nu, noyé dans une végétation luxuriante. Une vaste cité qui a pu être peuplée de milliers d’habitants, dont le seul trésor dévoilé est le cacaoyer, un arbre de grande valeur pour les civilisati­ons précolombi­ennes.

«C’était très frustrant, raconte Douglas Preston. Car nous ne voyions rien. Seuls les archéologu­es pouvaient se représente­r la cité en associant leur GPS aux cartes dressées par le lidar.» La découverte, à même le sol, de plusieurs statuettes en forme de tête de jaguar ou de vautour rendra quelques jours plus tard les choses plus concrètes. «Avant que je les aie sous les yeux, la cité était très théorique.» Elle aurait abrité une civilisati­on contempora­ine des Mayas, dont l’incursion la plus orientale avérée se trouve à Copan, à l’autre extrémité du Honduras, non loin du Guatemala. «L’urbanisme de T1 est différent, plus dilué que celui des Mayas», explique Douglas Preston.

Annoncée dans la presse et non – comme le veut l’usage – dans une revue savante, la découverte des cités T1 et T3 sur la seule base des clichés de lidar va semer la pagaille chez les scientifiq­ues. On blâmera notamment Steve Elkins et Chris Parker pour avoir mis de côté les scientifiq­ues honduriens et avoir privilégié le spectacle à la science. Après l’expédition, l’anthropolo­gue américaine Rosemary Joyce, spécialist­e du Honduras, rappellera que d’autres sites ont été découverts et étudiés dans la même région bien avant les observatio­ns de Chris Parker, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Pas plus que n’ont répondu Rosemary Joyce et d’autres scientifiq­ues américains et honduriens, cosignatai­res en 2015 d’une lettre ouverte critiquant durement l’expédition et National Geo- graphic. Ils leur reprochaie­nt, entre autres, de défendre une vision colonialis­te de l’archéologi­e.

L’emplacemen­t exact de T1 et T3 reste un secret d’Etat pour éviter tout pillage, car les fouilles n’ont j amais c ommencé, f aute de moyens. «Je rêve d’y retourner, malgré ce que j’ai enduré depuis», s’enthousias­me Douglas Preston qui, comme beaucoup d’autres membres de l’expédition, a été frappé par la lèpre blanche, dont il n’a jamais complèteme­nt guéri. La malédictio­n de la Cité du dieu singe aurait-elle remporté la partie? «Cette Ciudad Blanca est un mythe. Mais il ne faut pas oublier que, au Honduras, près de 90% des Amérindien­s ont péri entre 1520 et 1550, principale­ment de maladies apportées par les colons espagnols.» Pour le moment, le Honduras se contente d’une surveillan­ce discrète des deux sites et de la région. «La déforestat­ion illégale a été stoppée. Un signe que le pays a mesuré l’importance biologique de la Mosquitia», se réjouit Douglas Preston. L’archéologi­e, elle, attendra des jours meilleurs. ▅

Le chef de l’expédition a témoigné de la présence de nombreuses espèces inconnues

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(ORLANDO SIERRA/ AFP PHOTO) Vue aérienne de la Cité du dieu singe, en pleine jungle hondurienn­e.

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