Le Temps

Superman fête ses 80 ans mais reste intemporel. Retour sur le mythe

- PAR ROMAIN MEYER

En français, il s’est appelé Yordi ou Marc, l’Hercule moderne. On lui préfère aujourd’hui son nom d’origine. Icône populaire et identitair­e, le premier des super-héros fête cette année ses 80 ans

Ses noms et ses surnoms sont multiples. Il est tantôt Clark Kent, Kal-El, Smallville, Supes, l’Homme d’acier, le dernier fils de Krypton ou encore l’Homme de demain. Ce dernier apparaît dès 1939, l’année de la grande Exposition universell­e de New York qui avait comme thème, justement, le «monde de demain»… Si la récupérati­on publicitai­re est à peine voilée, elle souligne aussi la grande capacité d’adapt at i on de Superman à s on époque. Ou plutôt à ses époques. Car le personnage, lié à une maison d’édition, peut paraître sans discontinu­ité et toujours s’adapter aux désirs, voire aux exigences de ses lecteurs.

Ses débuts auraient pu pourtant tourner court. Joe Shuster et Jerry Siegel, tous deux fils d’immigrés juifs installés à Cleveland, imaginent en 1933 déjà, dans l eur propre f a nzine

Science Fiction, un premier Superman bien différent. Cette version présente un puissant télépathe ayant comme objectif d’asservir l’humanité. Le futur «boy-scout de l’Amérique» commence sa carrière dans la peau d’un salopard. Le duo remet le travail sur le métier, modifie les concepts et commence à faire le tour des éditeurs. Les refus s’enchaînent et le projet tombe finalement à l’eau.

SUCCÈS DANS L’URGENCE

Du moins jusqu’à ce que Vin Sullivan, éditeur à National Allied Publicatio­ns (future DC Comics), pressé par le temps, demandent aux deux artistes de reprendre le projet rejeté pour un nouveau magazine, Action Comics. En cette fin des années 1930, le marché s’emballe et les nouvelles revues se multiplien­t, autour du polar et de la science-fiction principale­ment. Shuster et Siegel dépoussièr­ent une dernière fois leur ancienne idée. Dans la précipitat­ion, la nouvelle mouture est finalement acceptée. Le personnage fait même la couverture du premier numéro d’Action Comics, en avril 1938, presque par hasard. Elle est depuis devenue iconique: Superman, habillé de bleu et avec une cape rouge, s’apprête à lancer une voiture qu’il tient au-dessus de la tête, alors que des bandits s’enfuient. Un exemplaire parfait a été vendu aux enchères à 3,2 mill i ons de dollars en 2014. Le numéro 1000 de la revue est sorti en avril de cette année.

Tout de suite, le ton est donné. Le héros n’est plus un homme, il est plus que cela, il est «super». Ne restent que des détails à ajuster. Ses pouvoirs sont encore mal définis: il saute mais ne vole pas encore. Ses origines sont liquidées en quelques cases à peine. Mais après quelques numéros, le canevas de base est défini et devient une référence indélébile, intemporel­le: les parents biologique­s de Kal-El décident de l’envoyer à travers l’espace dans une petite nacelle au moment de la destructio­n de la planète Krypton. Le vaisseau traverse l’espace pour finir sa course dans un champ du Kansas, près de Smallville. L’enfant est alors recueilli par un couple de fermiers, Martha et Jonathan Kent, qui l’élèvent comme leur fils au milieu de valeurs positives: respect de l’autre, sens de la justice et de la morale, du travail et de l’effort. Il va également apprendre à maîtriser ses pouvoirs que lui procure notre soleil jaune.

Clark Kent part alors pour la ville – Metropolis, hommage au film éponyme de Fritz Lang – où il est engagé comme journalist­e d’investigat­ion au Daily Planet sous l’autorité de Perry White. Il travaille avec Jimmy Olsen et Lois Lane, autre journalist­e d’exception qui gagnera le Pulitzer et trouvera le nom de Superman,

Le tout premier Superman, imaginé en 1933, est un puissant télépathe visant à asservir l’humanité

mais qui ne remarquera jamais que la seule différence entre Clark Kent et l’Homme d’acier est une paire de lunettes… Une galerie d’adversaire­s se développe alors, dont le plus farouche est le génie scientifiq­ue et politique Lex Luthor. On peut y ajouter le lutin facétieux Mr Mxyztplk ou encore, plus tard, le tyran Darkseid.

Il manque un dernier élément pour parfaire la mythologie et éviter que les récits ne finissent par tourner en rond. En effet, comment combattre un être qui est l’égal d’un dieu? Pour ajouter une faille au personnage, voire un peu d’humanité, une substance vient le rendre vulnérable, la kryptonite verte – il en existe d’autres couleurs avec différents effets. Pour la petite histoire, celle-ci n’apparaît pas dans la bande dessinée, mais dans le show radiophoni­que de 1949. Le tableau est maintenant complet.

AUX ORIGINES

Si Superman crée l e genre super-héroïque, il n’apparaît pas ex nihilo. Outre les références aux héros antiques, Shuster et Siegel sont de grands lecteurs de pulps d’aventure et de science-fiction. Ainsi Doc Savage, l’Homme de bronze, a sa propre «forteresse de solitude » , comme plus tard l’Homme d’acier. On peut y rajouter Gladiator ou encore John Carter, un humain que la faible gravi t at i on martienne rendait sur puissant. Le premier super-héros est également vu comme une réponse à l’Ubermensch nazi. Il possède par ailleurs plusieurs caractéris­tiques liées à la judéité de ses auteurs, bien que non pratiquant­s, notamment le rappel de l’histoire de Moïse, ou l’utilisatio­n du terme «El» pour désigner les membres de la famille kryptonien­ne du héros, terme qui, en hébreu, fait référence à la puissance et à la force, des attributs de l ’ Etre suprême. Son histoire rappellera­it également celle du golem de Prague, créé par le rabbin Loew afin de protéger la communauté des pogroms. Paradoxale­ment, c’est cette nature de «surhomme» qui suscita quelque méfiance envers le personnage lors de son arrivée en France, en 1939. Le responsabl­e de la revue Aven

ture, un Italien antifascis­te exilé, craignant une comparaiso­n avec l’idéologie nazie, décide de faire disparaîtr­e l e nom même de Superman, qui deviendra alors… Yordi. Le magazine Spirou, dans son numéro 9, remplacera le prénom Clark par quelque chose de plus francophon­e: le personnage devient Marc, l’Hercule moderne.

Immigré venu tout droit de l’espace, Superman incarne, symbolique­ment, l’intégratio­n réussie

Le grand Jijé en vient même à compléter certains récits lorsque les planches originales arrivent en retard. Suivront des reprises plus ou moins autorisées, le remodelage des cases originales, voire du plagiat pur et simple, comme l’inénarrabl­e François l’Imbattable!

Autre symbolique forte, Superman est un immigré qui est arrivé aux Etats-Unis depuis l’espace. Il a été accepté et a grandi dans ce nouveau monde dont il est devenu le symbole, portant sur lui les couleurs de son pays d’adoption. Il est la voix de l’intégratio­n réussie, porte-parole de «la vérité, la justice et l’American Way».

SAUVEURS DU MONDE

D’ailleurs, le personnage – tout comme Captain America chez le concurrent Marvel – servira plusieurs fois de porte- étendard patriotiqu­e de la puissance étatsunien­ne, mais aussi, dans un paradoxe lié à la multiplici­té des équipes créatives et des directives éditoriale­s, d’opposant aux abus de la politique de son pays, allant même jusqu’à renoncer à sa nationalit­é. Récemment, Superman a défendu des immigrants illégaux pris pour cible par un homme blanc portant un bandana aux couleurs du Stars and Stripes. Au point d’être traité d’antipatrio­tique et même de communiste (!) par certains, qui proposèren­t d’ailleurs le boycott de la série.

Cela rejoint une constante du genre super-héroïque: sa popu- larité et son développem­ent se produisent lors de moments anxiogènes. La création de Superman en 1938 et de son alter ego sombre Batman l’année suivante est à replacer dans les tensions de l’avant-guerre, et leur succès immédiat retombera dès le conflit terminé, ce qui correspond, dans l’histoire des comics, à la fin de l’âge d’or. L’intérêt pour le genre ne renaîtra qu’à partir de 1962 avec l’apparition du héros qui doute, Spider-Man, et de ceux qui sont rejetés par la société, les X-Men (1963). Le combat pour les droits civiques des Noirs américains bat son plein, la guerre froide, la crise des missiles de Cuba, l’assassinat de Kennedy, la reprise du conflit au Vi e t nam… Que dire d’aujourd’hui, où, grâce au cinéma, les «croisés en cape» n’ont jamais été aussi populaires en dehors de la sphère proprement geek? Le super-héros est toujours en phase avec les problèmes de son époque et sert à conjurer ses craintes. Une version laïque du miracle.

 ??  ??
 ?? (M & © 2018 DC COMICS. ALL RIGHTS RESERVED) ?? Le héros représente les valeurs positives que sont la justice, la morale ou le travail, comme l’illustre la série de récits «Superman anthologie».
(M & © 2018 DC COMICS. ALL RIGHTS RESERVED) Le héros représente les valeurs positives que sont la justice, la morale ou le travail, comme l’illustre la série de récits «Superman anthologie».
 ?? (M & © 2018 DC COMICS. ALL RIGHTS RESERVED) ??
(M & © 2018 DC COMICS. ALL RIGHTS RESERVED)
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland