Le Temps

La présidenti­elle malienne, un casse-tête français

- RICHARD WERLY @LTwerly

Le second tour de l’élection présidenti­elle aura lieu le 12 août. Le chef de l’Etat sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, apparaît en position de force. Ce qui soulage et inquiète à Paris

Comment gérer une nouvelle présidence IBK? Pour la France, dont l’armée déployée dans le Sahel (avec 4000 hommes au titre de l ’o pération «Barkhane») continue de tenir à bout de bras les autorités de Bamako, l’issue du premier tour de l’élection présidenti­elle malienne laisse présager un nouveau casse-tête.

Annoncés jeudi, soit quatre jours après le scrutin de dimanche, les résultats créditent d’une large avance le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta (candidat du Rassemblem­ent pour le Mali), avec 41,42% des voix contre 17,80% à son adversaire habituel, Soumaïla Cissé (candidat de l’Union pour la république et la démocratie), qu’il avait battu en août 2013 avec 77% des suffrages au second tour. La répétition du scénario d’il y a cinq ans semble donc probable le 12 août, date du prochain tour, vu les dissension­s de l’opposition, dont un nom émerge toutefois nettement: celui de l’homme d’affaires Aliou Diallo, enrichi dans l’exploitati­on minière et crédité de 7,95% des voix, juste devant l’ancien premier ministre Cheick Modibo Diarra (7,46%).

L’autorité de l’Etat sapée

Le problème, si tel est le cas, est que ce statu quo politique n’est pas une bonne nouvelle. Soupçonné d’avoir partie liée avec la criminalit­é organisée – notamment les trafiquant­s de drogue latino-américains qui utilisent le nord du Mali comme plaque tournante pour acheminer leurs cargaisons vers l’Europe –, l’entourage familial d’Ibrahim Boubacar Keïta a largement contribué, en cinq ans, à saper l’autorité d’un Etat malien par ailleurs incapable de reconquéri­r les population­s «perdues» des provinces du nord où les combats perdurent avec les groupes djihadiste­s touareg.

La mise sur pied en 2014 de l’opération militaire multinatio­nale «G5 Sahel» (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie, Tchad), après l’interventi­on de l’armée française au Mali en 2013, sert surtout de rempart contre de possibles offensives djihadiste­s. Mais elle n’empêche ni les attentats (l’un des derniers, en juin, a fait cinq morts au quartier général de la force

«Si Ibrahim Boubacar Keïta est réélu, a fortiori si le scrutin est controvers­é, le pays demeurera une poudrière» ISSELMOU OULD SALIHI, EXPERT DU SAHEL

à Mopti, dans le centre du pays, suite à une attaque suicide), ni la déliquesce­nce des services publics dans ces régions déshéritée­s où les population­s n’ont aucune confiance dans la capitale.

«Dans le Nord Mali, IBK reste synonyme d’abandon», nous confiait en mai le journalist­e mauritanie­n Isselmou Ould Salihi, expert reconnu du Sahel, lors d’une conférence organisée au Maroc par le think tank OCP-PC. «S’il est réélu, a fortiori si le scrutin est controvers­é, le pays demeurera une poudrière.» Or à ce stade, tous les indices concordent pour créditer cette analyse. La participat­ion au premier tour n’a été que de 43%.

La réalité de 300 000 électeurs a été questionné­e par l’opposition qui dénonce des fichiers «frauduleux» malgré le satisfecit électoral de l’ONU. Et la tenue du vote au nord, dans les villes de Gao ou de Kidal, s’est déroulée sous surveillan­ce d’anciens combattant­s rebelles, ralliés après les accords de paix d’Alger signés en 2015, mais dont l’allégeance peut à tout moment changer. Il a d’ailleurs fallu attendre le 20 juillet pour qu’en fin de campagne électorale, le président sortant se rende à Kidal où il n’avait pas mis les pieds depuis son élection de 2013. De quoi douter de sa promesse, faite alors sur place, d’y construire durant son prochain mandat un aéroport internatio­nal et un hôpital moderne. L’essentiel de l’infrastruc­ture médicale y est toujours, pour l’heure, assurée sur place par la mission des Nations unies (Minusca) et par le Comité internatio­nal de la Croix-Rouge (CICR).

Opposition morcelée

L’opposition malienne a pour sa part échoué, avant le premier tour, à incarner une alternativ­e crédible. Avec plus d’une vingtaine de candidats sur la ligne de départ, le scrutin présidenti­el a continué d’attiser les divisions, même si la figure émergente d’Aliou Diallo peut préfigurer une nouvelle donne. En axant sa campagne sur le besoin d’infrastruc­tures de base (route, eau, électricit­é) et en mettant en avant son profil d’entreprene­ur privé, le PDG de la société minière Wassoul’Or a su enrôler une bonne partie des petits commerçant­s et de l’élite musulmane. Une plateforme associativ­e a aussi rejoint sa candidatur­e.

L’homme d’affaires pourra-t-il, en dix jours, réussir à rassembler face à un IBK passé maître dans l’art d’enrôler ses opposants au gouverneme­nt, avant de s’en séparer? «Une relève a eu lieu dimanche dans l’opposition malienne», confiait jeudi sur RFI le chercheur Gilles Yabi, du groupe de réflexion Wathi basé à Dakar. «La question est maintenant de savoir, au-delà du second tour, si la France est prête à parier sur le nouveau venu Aliou Diallo.» ▅

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