Le Temps

Les Gay Games, compétitio­n «sport friendly»

- LUCA ENDRIZZI, PARIS

Du 4 au 12 août, Paris accueille la dixième édition des Gay Games. Ces olympiades de la communauté LGBTI font de la compétitio­n moins une fin qu’un moyen

Avec plus de 10000 athlètes issus de 91 pays i nscrits dans 500 épreuves de 36 discipline­s réparties sur 80 sites, les Gay Games de Paris 2018 présentent des chiffres comparable­s à ce que seront ceux des Jeux olympiques de Paris 2024. La comparaiso­n s'arrête là.

«Lors de leur première édition, en 1982 aux Etats-unis, les Gay Games auraient dû s'appeler les Gay Olympic Games. Les organisate­urs de l'époque se prirent un procès de la part du Comité olympique américain, qui ne voulait absolument pas qu'une telle manifestat­ion ait le mot «olympique» dans son nom. Ce fut un mal pour un bien car nous sommes vraiment très loin de la conception olympique du sport», explique Manuel Picaud, coprésiden­t du comité d'organisati­on des Gay Games 2018.

Il y a quelques semaines, nous avons rencontré cet ancien banquier dans un café parisien. Depuis 2013 – date de l'obtention de l'événement par la candidatur­e parisienne, il se consacre bénévoleme­nt à la planificat­ion d'une manifestat­ion qui s'est donné pour buts d'«être visible dans la ville, jouer la carte de l'inclusion, faire reculer les préjugés et favoriser la rencontre».

Se dépasser dans le respect de l’autre

En fait, l es Gay Games ressemblen­t aux Jeux olympiques des origines sur deux points: i l s s'adressent à des individus et non à des nations et mêlent sport et culture. Ce que Manuel Picaud ne reconnaît pas, c'est «le sport pour écraser l'adversaire, le sport de la virilité, où si tu n'es pas assez viril, tu vas être exclu. Dans les compétitio­ns des Gay Games, on ne représente pas un pays; tout un chacun, à partir de 18 ans sans limite d'âge, peut participer. Le sport, pour nous, est une activité culturelle où l'on aime bien se dépasser mais dans le respect de l'autre. On peut d'ailleurs s'inscrire aussi bien comme sportif que comme artiste. Dans Paris et dans toute l'Ile-de-France, nous allons gérer 80 sites, y compris les parcs publics mis à dispositio­n par la mairie de Paris pour les soirées musicales et dansantes ouvertes à tout le monde. Concernant le côté plus proprement sportif, nous avons 36 discipline­s qui vont du hockey sur glace au golf, en passant par l'athlétisme et la natation.»

Les Gay Games innovent en ouvrant certaines épreuves de couple (natation synchronis­ée, patinage artistique) aux personnes de même sexe. «La Fédération française de patinage artistique, jusqu'à cette année, interdisai­t à ses licenciés de participer aux Gay Games, sous peine d'être bannis de chez eux, rappelle Manuel Picaud. Eh bien, nous avons réussi à faire effacer cette règle.» Ces avancées sont le fruit de longues discussion­s et négociatio­ns. «En France, afficher son homosexual­ité dans le sport reste encore un tabou, dans les discipline­s collective­s masculines encore plus. Les gens ont le sentiment que ce monde est encore homophobe et, je crois, à raison», commente, un brin préoccupé, l'ancien banquier.

Dans les Gay Games, les sports collectifs peuvent également accueillir des équipes mixtes: «Diviser les gens en fonction de leur genre crée souvent de la discrimina­tion et de l'ignorance. Et alors pourquoi ne pas laisser des filles jouer avec des garçons? Chez nous les catégories sont plutôt des catégories d'âge.» Sur ce point, certaines fédération­s affiliées au CIO sont en train de mettre en oeuvre des projets qui ont un lointain écho avec cette mixité; on pense notamment à la création d'un relais mixte dans l'athlétisme, une compétitio­n qui devrait voir le jour aux JO de Tokyo 2020.

Une participat­ion militante

L'autre particular­ité des Gay Games, c'est que les coûts d'organisati­on pèsent à 40% sur les participan­ts. «Pour beaucoup, la participat­ion est un acte militant. La manifestat­ion coûte globalemen­t 5 millions d'euros. Un quart du budget est couvert par les pouvoirs publics et un quart par les sponsors privés.» Manuel Picaud regrette que ces derniers aient été «très difficiles [à] mobiliser. Souvent ils n'étaient pas convaincus du bienfait d'associer leur marque à notre nom. C'est dommage car le monde de demain va être un monde de la diversité.» Il s'enorgueill­it en revanche du haut patronage accordé par Emmanuel Macron, «une reconnaiss­ance qui pour nous est plus que symbolique».

Il est parfois reproché aux Gay Games de créer un particular­isme. N'est-il pas paradoxal de prendre pour devise « all equal » ( tous égaux)? «Non», répond Manuel Picaud, qui va chercher du côté de la philosophi­e pour démêler les grands concepts d'égalité et de différence: «Les deux termes ne sont pas antinomiqu­es. Quelles que soient leurs différence­s, toutes les personnes sont égales en droit. Tout le monde a sa place, a sa possibilit­é aux Gay Games. Ce sont des jeux de l'émancipati­on. Le tout tient grâce à l'un des trois principes de notre République: celui de fraternité. Ensemble on est bienveilla­nt, et on peut vivre bien ensemble, chose dont notre pays, notre planète a bien besoin.»

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