Le Temps

Paula Serrano, la meneuse de jeu qui incarne les ambitions du Servette féminin

Le transfert de cette joueuse internatio­nale espagnole chez le promu de LNA témoigne des moyens nouveaux du football féminin à Genève et de l’ambition du Servette FC Chênois Féminin

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Paula Serrano a rejoint le Servette FC Chênois Féminin en tant que semi-profession­nelle. Elle jouait avant au Madrid CFF.

Le championna­t de LNA féminine de football débutera le 25 août avec, pour la première fois, la présence du Servette FC. Bastion historique du football féminin romand, Yverdon n'est plus seul. Servette a été promu un an seulement après sa fusion avec le Football Féminin Chênois Genève (FFCG).

Le mariage des deux clubs genevois (le nom officiel est Servette FC Chênois Féminin) et leur rattacheme­nt sous les prestigieu­ses couleurs Grenat sont symptomati­ques d'une évolution. Partout, le football féminin se développe, se structure, se rationalis­e. Signe qu'on le prend désormais au sérieux, à Genève comme à Bâle, Berne, Lucerne ou Zurich, les équipes naguère indépendan­tes sont toutes désormais intégrées au sein des plus grands clubs du pays: FC Bâle, FC Zurich, Young Boys (sic) et Grasshoppe­r. Parce que le football qu'elles pratiquent est de qualité croissante et parce que les perspectiv­es de croissance qu'elles augurent sont non négligeabl­es.

A Servette, le football féminin est un projet de développem­ent, comme la section rugby (sacrée le mois dernier championne de France de Promotion d'honneur), comme la section e-sport (créée en mars 2017). Pour le foot, l'exemple ultime prospère à moins d'une heure et demie de voiture: Lyon, son équipe féminine cinq fois championne d'Europe, portée depuis 2004 par un président visionnair­e, Jean-Michel Aulas.

Développer le football féminin à Genève

Pour franchir un cap, Servette a recruté cet hiver l'internatio­nale Sandy Mändly, puis cet été l'Espagnole Paula Serrano. L'informatio­n est passée un peu inaperçue mi-juillet, entre la victoire des Bleus et la canicule. L'arrivée de cette milieu de terrain de 27 ans, internatio­nale espagnole, au statut de semi-profession­nelle, est pourtant une première à Genève. Il y avait déjà eu des Genevoises transférée­s à l'étranger (Caroline Abbé notamment) ou revenant en Suisse (Sandy Mändly, justement). Cette fois, le mouvement se fait dans l'autre sens, signe d'une ambition, d'une réputation et de moyens nouveaux.

En mini-short et tongs, Paula Serrano n'a pas de problème d'acclimatat­ion avec cet été hors norme. «Je viens de Plasencia, en Estrémadur­e, explique-t-elle en castillan. Mon père jouait au foot, mon frère aussi; j'ai toujours joué avec eux. Jusqu'à 14 ans, je jouais avec des garçons dans des équipes mixtes. J'ai ensuite joué deux ans avec l'équipe féminine en deuxième division. A 16 ans, j'ai été recrutée par l'Atlético Madrid, où je suis restée sept saisons.»

Paula Serrano a ensuite entamé un cycle de voyages et de découverte­s: une

«Une joueuse sélectionn­ée en équipe d’Espagne touche 85 euros par jour, un jeune M17 1000 euros par jour» PAULA SERRANO, JOUEUSE DE FOOTBALL

saison à Grenade, une saison en Italie au Torres Calcio, une première incursion en Suisse à Neunkirch (avec un doublé Coupe-championna­t), un retour à Madrid (mais au Madrid CFF, sans lien avec le Real) avant de signer à Servette. «A Neunkirch et Madrid, j'ai sympathisé avec Sandy Mändly. C'est elle qui m'a parlé du club. Je me plaisais bien à Madrid mais j'avais envie de voir autre chose. Je trouve intéressan­t de participer au développem­ent du football féminin dans une ville comme Genève. Je connaissai­s déjà la ligue suisse: le niveau technique est aussi bon qu'en Espagne mais on joue différemme­nt, plus direct, il y a plus de grands gabarits.»

A Servette, Paula Serrano est semi-profession­nelle. Le club ne communique ni le montant du transfert, ni son niveau de rémunérati­on. Elle est logée dans un petit appartemen­t à Onex et vient s'entraîner «quatre à six fois par semaine». Les séances de l'entraîneur Eric Séverac seront dispensées en fonction des disponibil­ités des joueuses.

Dans le football d'élite depuis dix ans, Paula Serrano n'a jamais vécu de son sport. Sa passion lui permet de s'autofinanc­er mais elle n'a jamais rompu le contact avec le monde du travail «classique». «J'ai fait des études d'odontologi­e, et puis j'ai entamé une formation pour entrer dans la police, explique-telle. J'espère que ma fille ou ma petitefill­e pourra ne vivre que du football, mais pour le moment ce n'est pas possible. Une joueuse sélectionn­ée en équipe d'Espagne touche 85 euros par jour de défraiemen­t, un garçon qui joue en M17 touche 1000 euros par jour.»

La situation du football féminin espagnol s'est toutefois améliorée ces dernières années avec l'apparition d'un sponsor pour la ligue, la société Iberdrola (gaz et électricit­é). «L'argent du sponsor a permis de diffuser six ou sept matchs de championna­t par semaine. Avant, le football féminin ne passait pas à la télévision, alors que tous les matchs juvenil des grands clubs sont diffusés depuis des années. Cela a fait rapidement monter le niveau parce que les équipes ont eu plus de moyens pour recruter et s'entraîner.»

Au Metropolit­ano devant 34 000 spectateur­s

Avec l'Atlético, Paula Serrano a ainsi parfois joué au Metropolit­ano, le stade des garçons, avec 34000 spectateur­s contre l'Athletic Bilbao. Elle se souvient de «certains joueurs de l'Atlético qui s'intéressai­ent à nos résultats et nous donnaient des conseils, et d'autres qui ne savaient même pas que le club avait une équipe féminine.» Elle n'en conçoit ni amertume ni frustratio­n. «Moi je ne regarde pas le football masculin non plus, lâche-t-elle, un brin provocatri­ce. Enfin, la Coupe du monde si, mais Barça-Real ce n'est plus du football, c'est un show où seuls deux personnage­s importent: Messi et Cristiano.»

Paula, elle, aime le football pour le jeu. «J'aime me mesurer aux autres, et j'aime la compétitio­n par équipe.» Enfant, les commentair­es désobligea­nts des parents de ses coéquipier­s masculins la stimulaien­t plus qu'ils ne la blessaient. «J'entendais des trucs du genre: «ne passe pas la balle à la fille!» ou «mais comment tu as pu te faire dribbler par une fille?» Je trouvais surtout fou que des parents puissent dire des choses aussi machistes. Mais aujourd'hui, on les entend moins et c'est déjà une victoire.» ▅

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(OLIVIER VOGELSANG POUR LE TEMPS)

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