Le Temps

Joël Robuchon, une étoile de la gastronomi­e s’est éclipsée

DISPARITIO­N Joël Robuchon, l’icône de la gastronomi­e française, est décédé lundi à l’âge de 73 ans des suites d’un cancer. Au sein de la profession, les hommages à sa trajectoir­e exceptionn­elle se multiplien­t

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Le maître incontesta­ble et incontesté: les qualificat­ifs reviennent en boucle pour désigner Joël Robuchon, le chef le plus étoilé de l’histoire, décédé lundi à 73 ans à Genève des suites d’un cancer. L’ambassadeu­r de la cuisine française, sacré Meilleur Ouvrier de France en 1976, chef de l’année en 1987 puis cuisinier du siècle en 1990, détenait 32 étoiles au guide gastronomi­que Michelin. Brillant entreprene­ur, le natif de Poitiers lègue un héritage colossal, un «esprit Robuchon».

«Joël Robuchon, chef visionnair­e et le plus étoilé du monde, nous quitte aujourd’hui. De Paris à Shanghai, son savoir-faire érigé en art a fait rayonner la gastronomi­e française et continuera d’inspirer la jeune génération de chefs», a déclaré le porte-parole du gouverneme­nt français sur Twitter, confirmant ainsi une informatio­n du Figaro.

Au cours de sa carrière entamée à l’hôtel Concorde La Fayette, à Paris, Joël Robuchon a façonné les contours d’une cuisine moderne et épurée, tout en préservant les traditions. Lui qui, enfant, se voyait prêtre catholique a fini par devenir l’ambassadeu­r d’une excellence à la française. Célèbres dans le monde entier, ses créations ont enchanté les papilles les plus exigeantes: la gelée de homard au caviar à la crème de chou-fleur, la tarte aux truffes et, bien sûr, l’incontourn­able purée de pommes de terre, symbole d’une simplicité sublimée à la perfection.

«La référence pour tous»

En ce jour sombre pour la gastronomi­e, les hommages affluent chez les confrères. Chef à l’Hôtel de Ville de Crissier, Franck Giovannini a côtoyé Joël Robuchon à plusieurs reprises. Il se souvient d’un collègue estimé, avenant, perfection­niste. «Son restaurant à Paris était la référence pour tous, raconte celui qui a été élu «Cuisinier de l’année» en 2018 par le Gault Millau. Il a arrêté sa carrière à 50 ans, en pleine gloire, pour se consacrer à ses ateliers culinaires qu’il ouvrira à travers le monde. C’est simple, tout ce qu’il a entrepris, il l’a réussi.»

Très loin du cliché du chef insaisissa­ble, Joël Robuchon n’avait pas peur de dévoiler ses recettes au plus grand nombre. Lorsqu’il prend sa retraite anticipée en 2000, il reste présent à travers son émission culinaire Bon appétit bien sûr, monument de la cuisine pour tous. Discret, Joël Robuchon ne parlait jamais franchemen­t de sa maladie. Il y a plus d’un an, l’opération d’une tumeur au pancréas l’avait laissé très affaibli. Dans la profession, tout le monde percevait son mal-être, mais personne n’évoquait le sujet. «La dernière fois que je l’ai vu, c’était en janvier dernier lors de la sélection suisse du Bocuse d’or, raconte Franck Giovannini. Il avait beaucoup maigri, mais affirmait que tout allait bien.»

«Monstres sacrés»

A la sortie de son service au restaurant Flocons de Sel, à Megève, le chef Emmanuel Renaut confie sa «grande tristesse». Aujourd’hui, le quinquagén­aire déplore la perte d’un père, un frère, un compagnon du tour de France. «Il faisait partie de ces monstres sacrés de la cuisine, au même titre que Paul Bocuse, raconte le cuisinier aux trois étoiles. J’ai eu la chance de l’avoir comme rêve quand j’ai débuté dans la profession. Il était déjà au sommet, au Jamin, rue de Longchamp.»

Les deux hommes étaient ensemble à Macao en mars pour le Congrès des Maîtres Cuisiniers de France. «Il était encore plein de projets, on a discuté dans l’avion, il était très positif, je n’aurais pas pu prédire que sa fin était proche», se souvient Emmanuel Renaut, ému. Derrière le grand cuisinier, il retiendra un grand homme disponible, généreux, dans la rigueur et la justesse. «Il nous avait fait l’honneur d’être le parrain de l’Associatio­n suisse pour la recherche sur l’alzheimer lors d’un gala à Genève ce printemps.»

Métier passion

A Genève, Philippe Chevrier a lui aussi croisé le chemin de Joël Robuchon. «Il a introduit dans la cuisine un souci du détail qui n’existait pas avant, chaque assiette sortait de ses cuisines avec une précision horlogère.» Le chef du Domaine de Châteauvie­ux se souvient encore du repas pris au Jamin pour ses 30 ans: spaghettis de langoustin­e, pigeon au chou et au foie gras, jus de volaille.

Fin 2016, Le Temps avait rencontré Joël Robuchon lors de l’inaugurati­on d’un partenaria­t avec l’Ecole hôtelière de Lausanne. Face à des étudiants éblouis, il avait alors expliqué: «J’ai commencé la cuisine à l’âge de 15 ans. C’est un dur métier qui devient stressant quand on l’exerce avec passion.» L’homme avait insisté sur l’importance du renouvelle­ment. «Je suis parti en Chine. Là-bas, j’ai appris à cuisiner de nouvelles textures et méthodes de cuisson. Je continue à beaucoup voyager et passe mon temps à faire des découverte­s aux quatre coins de la planète.»

C’est à ses côtés que Yoann Caloué, chef au restaurant Le Flacon, à Carouge, a fait ses armes en 2010 à Paris. Il se souvient de sa rigueur implacable, de sa maîtrise des techniques et des produits. «Précurseur dans son art, Jöel Robuchon avait le don de transmettr­e son savoir. J’ai beaucoup appris de lui.» ▅

«Il a introduit dans la cuisine un souci du détail qui n’existait pas avant, chaque assiette sortait de ses cuisines avec une précision horlogère»

PHILIPPE CHEVRIER, CHEF CUISINIER

 ?? (ULLSTEIN BILD - ROGER-VIOLLET) ?? Joël Robuchon et sa brigade en 1993 dans les cuisines du restaurant Jamin, qu’il avait créé en 1981 à Paris.
(ULLSTEIN BILD - ROGER-VIOLLET) Joël Robuchon et sa brigade en 1993 dans les cuisines du restaurant Jamin, qu’il avait créé en 1981 à Paris.

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