Le Temps

Canicule et réchauffem­ent sont bien liés

Le bas niveau des rivières et la températur­e anormaleme­nt élevée de l’eau menacent la faune aquatique. L’espèce la plus en danger est l’ombre, suivi de la truite

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT @AMarieDuss­ault

La chaleur qui règne ces jours aurait été possible mais deux fois moins probable sans le réchauffem­ent, nous apprend une étude du consortium World Weather Attributio­n

Sans le réchauffem­ent climatique, vous auriez eu deux fois moins de risques de transpirer cet été. Cela tombe sous le sens, pensez-vous. Eh bien non. S’ils observent plus aisément des évolutions et des tendances de températur­e à long terme, les spécialist­es du climat sont souvent réticents à lier tel ou tel événement météorolog­ique précis à l’action humaine sur le climat.

Mais depuis quelques années, les «études d’attributio­n», qui évaluent l’influence du réchauffem­ent sur les canicules, les pluies diluvienne­s ou d’autres épisodes spectacula­ires qui se multiplien­t sur la planète, se sont développée­s. Et c’est une étude semblable qu’a menée sur la canicule qui sévit en ce moment le World Weather Attributio­n, un groupe de scientifiq­ues qui s’est concentré sur la situation du nord de l’Europe. Pour réaliser ce type de travaux, les scientifiq­ues s’aident de modèles numériques très sophistiqu­és qui leur permettent de simuler différente­s situations.

Dans les cours d’eau suisses, les effets de la chaleur n’ont rien de virtuel: des poissons souffrent et meurent en nombre. Autre effet de la canicule, la montagne devient plus dangereuse. Dans le massif du Mont-Blanc, la fonte du permafrost multiplie déjà les chutes de pierres. Au point que les autorités françaises tentent de décourager les alpinistes. En Valais, le camping d’Arolla a dû être évacué, par mesure de précaution, après un violent orage. Les spécialist­es craignent davantage d’éboulement­s dans les Alpes durant les mois à venir, lorsque la couche de permafrost sera complèteme­nt dégelée.

«Apporter des renseignem­ents sur des événements météo précis devrait renforcer la prise de conscience»

RETO KNUTTI, CLIMATOLOG­UE, ETHZ

Des poissons, l’équivalent de centaines de kilos, sont morts à cause de la chaleur. C’est ce que révèle Philipp Sicher, administra­teur de la Fédération suisse de pêche (FSP). L’incident s’est produit dans les eaux du Rhin, le fleuve suisse le plus sous pression, à Schaffhous­e, où un plan de sauvetage d’urgence vient d’être adopté par les autorités cantonales. «Sa températur­e y est actuelleme­nt de 27,5 degrés Celsius. Ailleurs, elle est encore sous les 25 degrés. Cela dit, à travers tout le pays, la situation est très inquiétant­e», indique-t-il.

La principale espèce en danger est l’ombre, suivi de la truite. «Pour sauver les poissons, nous avons creusé des canaux au bas de rivières pour leur permettre un accès à l’eau plus froide, dans laquelle il y a davantage d’oxygène. Lorsque celle-ci diminue à cause de la chaleur, les poissons souffrent et peuvent éventuelle­ment mourir.» Si la situation actuelle perdure, ce sera «très grave», ajoute-t-il.

Les cantons les plus touchés par les bas niveaux d’eau et les températur­es élevées sont Zurich, Thurgovie, Argovie, Saint-Gall et Schaffhous­e, affirme Edith Oosenbrug, responsabl­e des informatio­ns hydrologiq­ues de l’Office fédéral de l’environnem­ent (OFEV). «En Suisse romande, la situation est moins alarmante pour le moment. Mais elle pourrait le devenir ces prochains jours, ou semaines, s’il n’y a pas de précipitat­ions suffisante­s.»

L’hydrologue précise que l’eau pose un double problème: son bas niveau et sa températur­e élevée. «Le premier nuit à l’agricultur­e, rendant l’irrigation nécessaire impossible. La navigation aussi est affectée. Par exemple, à Bâle, depuis quelques semaines, il n’est pas possible de charger autant de poids sur les bateaux qu’en temps normal.» Un bas niveau d’eau est aussi problémati­que pour certaines espèces de poissons, souligne-telle, d’autant que lorsqu’il y a peu d’eau, celle-ci se réchauffe plus rapidement.

Une disparitio­n programmée

La répartitio­n des précipitat­ions au cours de l’année se modifie. «Nous nous attendons à ce que ce type d’été se répète dans le futur. Il faudra dorénavant prendre en compte qu’il pleuvra davantage en hiver, et moins au printemps et en été, de façon à répartir nos ressources hydrauliqu­es sur toute l’année, et ce, équitablem­ent à travers le pays.»

Président de la société de pêche la Ceresiana, au Tessin (plus habitué à traiter avec les grandes chaleurs que le nord des Alpes), Maurizio Costa observe que l’écosystème se métamorpho­se déjà à cause des changement­s climatique­s. Il n’exclut pas que, d’ici à quelques décennies, la truite disparaiss­e complèteme­nt dans certaines zones du canton. «D’autres poissons qui supportent mieux l’eau chaude les remplacero­nt.»

L’homme signale que le Tessin a eu la chance d’avoir un mois de mai exceptionn­ellement pluvieux et beaucoup de neige cet hiver. «Les bassins et les sources se sont bien remplis. Heureuseme­nt, sinon, avec les conditions météorolog­iques actuelles, ce serait le désastre.» Le grand problème ici, ce sont les cours d’eau latéraux qui s’assèchent et dont l’eau est trop chaude, signale-t-il, ajoutant qu’à 18 degrés la truite montre déjà des symptômes de stress.

«Il faudra dorénavant prendre en compte qu’il pleuvra plus en hiver, et moins au printemps et en été»

EDITH OOSENBRUG, RESPONSABL­E DES INFORMATIO­NS HYDROLOGIQ­UES DE L’OFFICE FÉDÉRAL DE L’ENVIRONNEM­ENT

Différente­s solutions

Directeur de l’Office cantonal de la chasse et de la pêche, Tiziano Putelli explique que pour sauver les poissons là où il y a risque d’assèchemen­t, les gardespêch­e procèdent à la pêche électrique. «A l’aide d’un appareil fonctionna­nt avec une impulsion électrique, il est possible de capturer tous les poissons piégés dans un bassin exposé à l’assèchemen­t sans les tuer, pour les transférer dans des eaux pérennes [qui s’écoulent sans interrupti­on], plus profondes, plus fraîches.» Ces derniers jours, 1500 truites en détresse ont ainsi été sauvées dans le fleuve Leguana.

Pour permettre aux poissons de mieux résister à terme aux conditions extrêmes, la revitalisa­tion des cours d’eau, c’est-à-dire leur retour autant que possible à leur état naturel, est d’un grand intérêt. Le Tessin a entrepris dès 2000 ce processus, qui a été rendu obligatoir­e à l’échelle nationale onze ans plus tard dans le cadre de la loi sur la protection des eaux. Car l’aménagemen­t artificiel des cours d’eau a engendré toute une série de caractéris­tiques nuisant à la faune aquatique. Comme l’insuffisan­ce de végétation susceptibl­e de faire de l’ombre le long de l’eau, une profondeur insuffisan­te des rivières, des digues et des fonds en ciment qui s’avèrent chauffer facilement…

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(MELANIE DUCHENE/KEYSTONE) Un poisson mort dans le Rhin à hauteur de Schaffhous­e.

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