Canicule et réchauffement sont bien liés
Le bas niveau des rivières et la température anormalement élevée de l’eau menacent la faune aquatique. L’espèce la plus en danger est l’ombre, suivi de la truite
La chaleur qui règne ces jours aurait été possible mais deux fois moins probable sans le réchauffement, nous apprend une étude du consortium World Weather Attribution
Sans le réchauffement climatique, vous auriez eu deux fois moins de risques de transpirer cet été. Cela tombe sous le sens, pensez-vous. Eh bien non. S’ils observent plus aisément des évolutions et des tendances de température à long terme, les spécialistes du climat sont souvent réticents à lier tel ou tel événement météorologique précis à l’action humaine sur le climat.
Mais depuis quelques années, les «études d’attribution», qui évaluent l’influence du réchauffement sur les canicules, les pluies diluviennes ou d’autres épisodes spectaculaires qui se multiplient sur la planète, se sont développées. Et c’est une étude semblable qu’a menée sur la canicule qui sévit en ce moment le World Weather Attribution, un groupe de scientifiques qui s’est concentré sur la situation du nord de l’Europe. Pour réaliser ce type de travaux, les scientifiques s’aident de modèles numériques très sophistiqués qui leur permettent de simuler différentes situations.
Dans les cours d’eau suisses, les effets de la chaleur n’ont rien de virtuel: des poissons souffrent et meurent en nombre. Autre effet de la canicule, la montagne devient plus dangereuse. Dans le massif du Mont-Blanc, la fonte du permafrost multiplie déjà les chutes de pierres. Au point que les autorités françaises tentent de décourager les alpinistes. En Valais, le camping d’Arolla a dû être évacué, par mesure de précaution, après un violent orage. Les spécialistes craignent davantage d’éboulements dans les Alpes durant les mois à venir, lorsque la couche de permafrost sera complètement dégelée.
«Apporter des renseignements sur des événements météo précis devrait renforcer la prise de conscience»
RETO KNUTTI, CLIMATOLOGUE, ETHZ
Des poissons, l’équivalent de centaines de kilos, sont morts à cause de la chaleur. C’est ce que révèle Philipp Sicher, administrateur de la Fédération suisse de pêche (FSP). L’incident s’est produit dans les eaux du Rhin, le fleuve suisse le plus sous pression, à Schaffhouse, où un plan de sauvetage d’urgence vient d’être adopté par les autorités cantonales. «Sa température y est actuellement de 27,5 degrés Celsius. Ailleurs, elle est encore sous les 25 degrés. Cela dit, à travers tout le pays, la situation est très inquiétante», indique-t-il.
La principale espèce en danger est l’ombre, suivi de la truite. «Pour sauver les poissons, nous avons creusé des canaux au bas de rivières pour leur permettre un accès à l’eau plus froide, dans laquelle il y a davantage d’oxygène. Lorsque celle-ci diminue à cause de la chaleur, les poissons souffrent et peuvent éventuellement mourir.» Si la situation actuelle perdure, ce sera «très grave», ajoute-t-il.
Les cantons les plus touchés par les bas niveaux d’eau et les températures élevées sont Zurich, Thurgovie, Argovie, Saint-Gall et Schaffhouse, affirme Edith Oosenbrug, responsable des informations hydrologiques de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). «En Suisse romande, la situation est moins alarmante pour le moment. Mais elle pourrait le devenir ces prochains jours, ou semaines, s’il n’y a pas de précipitations suffisantes.»
L’hydrologue précise que l’eau pose un double problème: son bas niveau et sa température élevée. «Le premier nuit à l’agriculture, rendant l’irrigation nécessaire impossible. La navigation aussi est affectée. Par exemple, à Bâle, depuis quelques semaines, il n’est pas possible de charger autant de poids sur les bateaux qu’en temps normal.» Un bas niveau d’eau est aussi problématique pour certaines espèces de poissons, souligne-telle, d’autant que lorsqu’il y a peu d’eau, celle-ci se réchauffe plus rapidement.
Une disparition programmée
La répartition des précipitations au cours de l’année se modifie. «Nous nous attendons à ce que ce type d’été se répète dans le futur. Il faudra dorénavant prendre en compte qu’il pleuvra davantage en hiver, et moins au printemps et en été, de façon à répartir nos ressources hydrauliques sur toute l’année, et ce, équitablement à travers le pays.»
Président de la société de pêche la Ceresiana, au Tessin (plus habitué à traiter avec les grandes chaleurs que le nord des Alpes), Maurizio Costa observe que l’écosystème se métamorphose déjà à cause des changements climatiques. Il n’exclut pas que, d’ici à quelques décennies, la truite disparaisse complètement dans certaines zones du canton. «D’autres poissons qui supportent mieux l’eau chaude les remplaceront.»
L’homme signale que le Tessin a eu la chance d’avoir un mois de mai exceptionnellement pluvieux et beaucoup de neige cet hiver. «Les bassins et les sources se sont bien remplis. Heureusement, sinon, avec les conditions météorologiques actuelles, ce serait le désastre.» Le grand problème ici, ce sont les cours d’eau latéraux qui s’assèchent et dont l’eau est trop chaude, signale-t-il, ajoutant qu’à 18 degrés la truite montre déjà des symptômes de stress.
«Il faudra dorénavant prendre en compte qu’il pleuvra plus en hiver, et moins au printemps et en été»
EDITH OOSENBRUG, RESPONSABLE DES INFORMATIONS HYDROLOGIQUES DE L’OFFICE FÉDÉRAL DE L’ENVIRONNEMENT
Différentes solutions
Directeur de l’Office cantonal de la chasse et de la pêche, Tiziano Putelli explique que pour sauver les poissons là où il y a risque d’assèchement, les gardespêche procèdent à la pêche électrique. «A l’aide d’un appareil fonctionnant avec une impulsion électrique, il est possible de capturer tous les poissons piégés dans un bassin exposé à l’assèchement sans les tuer, pour les transférer dans des eaux pérennes [qui s’écoulent sans interruption], plus profondes, plus fraîches.» Ces derniers jours, 1500 truites en détresse ont ainsi été sauvées dans le fleuve Leguana.
Pour permettre aux poissons de mieux résister à terme aux conditions extrêmes, la revitalisation des cours d’eau, c’est-à-dire leur retour autant que possible à leur état naturel, est d’un grand intérêt. Le Tessin a entrepris dès 2000 ce processus, qui a été rendu obligatoire à l’échelle nationale onze ans plus tard dans le cadre de la loi sur la protection des eaux. Car l’aménagement artificiel des cours d’eau a engendré toute une série de caractéristiques nuisant à la faune aquatique. Comme l’insuffisance de végétation susceptible de faire de l’ombre le long de l’eau, une profondeur insuffisante des rivières, des digues et des fonds en ciment qui s’avèrent chauffer facilement…
▅