Mais encore
La multinationale développe sans cesse de nouveaux produits sur le campus de l’EPFL. Les technologies de pointe sont d’abord adoptées par les «gamers», avant de se démocratiser
Le génie technologique de Logitech, une radiographie de l’héminégligence, ce trouble spatial du cerveau, les pièges de la langue française, un retour sur l’été 68, quand le Living Theatre osait le sulfureux Paradise Now, une histoire de saignée, un pèlerinage sur la tombe de Coco Chanel, les mots fléchés et le sudoku.
Ce sont des souris sculptées en polyuréthane, alignées par dizaines sur un établi. C’est un bras de robot qui teste, en dessinant de grands arcs de cercle, les senseurs d’une souris. C’est aussi une machine qui met à l’épreuve un nouveau clavier qui doit supporter, en accéléré, deux millions de frappes, voire plus – certains claviers dédiés aux «gamers» doivent en assurer 70 millions. Nous voici sur le site de l’EPFL, dans le laboratoire de Logitech, dédié notamment à la création de nouvelles souris et de claviers.
Mais en 2018 est-il vraiment pertinent de développer ces deux périphériques informatiques inventés il y a plusieurs dizaines d’années? La souris date de 1963, le clavier pour ordinateur est apparu quelques mois plus tard. «En insérant un accéléromètre dans notre souris G402, nous avons passé sa vitesse de 30 à 50 km/h, sourit Jean-Michel Chardon, directeur de l’ingénierie. C’est un saut technologique colossal pour les mordus de jeux vidéo. Et c’est comme la Formule 1 pour les automobilistes: les innovations visent d’abord les spécialistes et sont ensuite adoptées par le grand public.»
L’impulsion de Bracken Darrell
Logitech, dont le siège mondial est basé sur le campus de l’EPFL, vend trois millions de produits par semaine. Claviers et souris représentent encore environ 39% de son chiffre d’affaires. Et c’est à Lausanne qu’ils sont développés. «Nous ne sommes jamais à court d’idées pour innover pour ces deux gammes de produits, affirme Kim Gygax, designer senior. Nous voulons améliorer l’ergonomie, le design, les spécifications techniques… Ce sont des innovations incrémentales. Parfois, nous effectuons des sauts plus importants, comme avec le modèle Craft.» Lancé en été 2017, ce clavier intègre une petite molette pour utiliser plus efficacement Photoshop, par exemple.
Sur son site de l’EPFL, la multinationale compte environ 300 employés, dont 150 sont actifs dans la recherche et le développement. Au niveau mondial, ils sont 700 à créer de nouveaux produits, répartis sur dix sites – de Dublin à Newark, en Californie – consacrés aux caméras, aux haut-parleurs ou aux télécommandes multifonctions. «A Lausanne, nous avons la chance de collaborer facilement avec près de 200 start-up gravitant autour de l’EPFL, poursuit Jean-Michel Chardon. Nous travaillons aussi avec des étudiants de l’Ecole polytechnique, bien sûr, mais également avec la Haute Ecole Arc ou la Haute Ecole de Lucerne, spécialisée dans le design.»
«Design», ce mot revient très souvent dans la bouche des deux responsables. C’est sous l’impulsion de Bracken Darrell, arrivé à la tête de Logitech en janvier 2013, que la société a porté nettement plus d’attention à ce que l’entreprise appelle «l’âme» de ses produits et à leur simplification. L’Américain, issu de Whirlpool, a permis à la société d’enchaîner les trimestres record. Lors de son dernier exercice annuel, Logitech a vu son chiffre d’affaires augmenter de 16%, à 2,57 milliards de dollars, pour un bénéfice net de 208,5 millions.
Comment se crée un nouveau produit? «Nous partons souvent d’interactions avec de petits groupes de consommateurs pour comprendre comment améliorer nos produits et résoudre des problèmes de la vie de tous les jours, explique Kim Gygax. Ensuite, nous passons à la phase du prototypage, en sculptant des objets en mousse de polyuréthane: il est très important de créer ces objets à la main, pour les ressentir totalement.» Puis vient la phase de la modélisation du produit et des premiers prototypes mis entre les mains d’un panel d’utilisateurs. Compter entre 2 et 18 mois entre la première idée et le produit fini.
Tension avec les commerciaux
On imagine les ingénieurs et les designers de Logitech constamment sous pression du département commercial désireux de lancer de nouveaux produits chaque trimestre… «Oui, il y a clairement une tension à ce niveau: nous devons aller vite, tester rapidement de nouvelles idées, confirme Jean-Michel Chardon. Mais comme nous avons des processus très efficaces et que nous ne manquons pas d’idées, c’est très stimulant.»
C’est donc à Lausanne que naissent entre autres les souris et les claviers. Logitech lance autour de six nouveaux modèles par année, sans compter les «éditions limitées» de souris avec des habillages spéciaux. Mais ce n’est pas tout. «Les ingénieurs ont apporté leur contribution au consortium mondial pour développer et améliorer Bluetooth. Et nous avons créé notre propre technologie sans fil, ce dont nous sommes très fiers», détaille Jean-Michel Chardon.
La maîtrise des ondes
Ainsi, la consommation d’énergie des appareils utilisant Bluetooth et la technologie de Logitech a pu être divisée par vingt en l’espace de quelques années. «Une batterie de souris dure désormais trois ans, contre deux mois il y a dix ans. Ce sont des améliorations qui comptent», poursuit l’ingénieur. Logitech se targue aussi de maîtriser totalement les ondes radio pour éviter les interférences entre les appareils – un avantage pour les fans de jeux vidéo qui se retrouvent parfois par centaines dans des espaces dédiés.
Ainsi, les technologies développées à Lausanne se retrouvent dans la plupart des produits de Logitech développés sur la planète. Des produits de plus en plus demandés: sur la dernière année, les ventes d’accessoires de jeu ont augmenté de 57%, celles des webcams d’entreprises de 44% et celles liées à la domotique de 36%.n
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