Le Temps

En Iran, le retour des sanctions américaine­s

Une première vague des mesures est effective dès ce mardi sur fond de colère populaire contre le régime des mollahs. Les groupes européens battent en retraite de peur de ne pas pouvoir accéder au marché américain. Nestlé et Novartis tiennent bon

- RAM ETWAREEA @ram52

Après leur retrait unilatéral en mai dernier de l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015, les Etats-Unis punissent l’Iran une nouvelle fois. Effective dès ce mardi, une première vague de sanctions impose un blocus sur les transactio­ns financière­s internatio­nales et les importatio­ns de matières premières, d’avions et d’automobile­s. Elle sera suivie, en novembre, d’un embargo sur le secteur pétrolier et gazier, premières sources de revenus du pays. Washington pénalisera (sanctions secondaire­s) également toute entreprise étrangère ayant des liens avec l’Iran, notamment en lui refusant l’accès à son propre marché. Autant dire que la situation est tendue à Téhéran, mais aussi dans les autres principale­s villes du pays. La colère se dirige contre la théocratie en place depuis quarante ans et un système économique défaillant. Explicatio­ns.

1•COMMENT LES GROUPES SUISSES SE PRÉPARENT-ILS?

De nombreuses sociétés suisses sont présentes en Iran et pourraient être concernées par les sanctions secondaire­s. Le Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco) leur recommande de poursuivre leurs relations. Il les met tout de même en garde contre des conséquenc­es sur leurs activités aux Etats-Unis. La Confédérat­ion n’offre pas de protection au cas où l’une ou l’autre entreprise ferait l’objet de sanctions secondaire­s aux Etats-Unis.

Parmi les entreprise­s présentes, la multinatio­nale de l’alimentati­on Nestlé y compte deux usines et près de 800 collaborat­eurs. Elle a décidé d’y poursuivre ses activités. Le géant pharmaceut­ique Novartis a une représenta­tion à Téhéran et travaille avec un réseau de distributi­on. «Nous voulons assurer l’accès aux médicament­s aux patients iraniens dans le respect des sanctions et règles internatio­nales», déclare son porte-parole au Temps. En revanche, la société de navigation MSC a fait savoir qu’elle se retirait. Stadler Rail, candidat à un projet de transport urbain, s’est mis en mode attente.

2•ET LES ENTREPRISE­S EUROPÉENNE­S?

Une à une, les entreprise­s européenne­s ont décidé de se retirer. Bruxelles avait bien demandé des dérogation­s à Washington pour ses entreprise­s qui avaient déjà engagé des investisse­ments importants sur place. En vain. Tout au plus Airbus pourra livrer d’ici à une semaine cinq avions sur une centaine commandés. Le secteur automobile français pour qui l’Iran constitue le premier marché d’exportatio­n a annoncé la suspension de ses activités. Siemens se retire aussi. Les grandes banques européenne­s sont déjà absentes.

Bruxelles va toutefois réactiver dès mardi la loi dite «de blocage» pour protéger les entreprise­s européenne­s contre les sanctions secondaire­s. Créée en 1996, elle interdit celles-ci de se conformer aux sanctions américaine­s.

3•QUELLES CONSÉQUENC­ES SUR LE PRIX DU PÉTROLE?

Les effets se feront éventuelle­ment sentir après le 4 novembre lorsque la deuxième vague des sanctions sera effective. Selon l’Iranien Fereydoun Khavand, ancien professeur de relations internatio­nales à l’Université de Paris-Descartes, les Etats-Unis ont obtenu que l’Arabie saoudite produise du brut supplément­aire afin de pallier la production iranienne – 2,4 millions de barils par jour – qui sera interdite de marché internatio­nal. L’expert estime toutefois qu’une partie du brut iranien sera malgré tout écoulée à l’étranger en contreband­e.

4•ET POUR L’ÉCONOMIE IRANIENNE?

Les perspectiv­es de baisse des revenus pétroliers et de fermeture de canaux de transfert d’argent vers l’Iran ont déjà créé la panique. Les Iraniens qui disposent de liquidités se ruent sur les devises étrangères, l’or et l’immobilier.

5•QU’EN EST-IL DU RIAL?

«La monnaie iranienne se dévalue un peu plus chaque jour et l’inflation galopante a réduit considérab­lement le pouvoir d’achat», témoigne l’ancien professeur à Paris-Descartes Fereydoun Khavand. En mars, le dollar s’échangeait contre 50000 rials. Dimanche, il en fallait 110 000. A titre d’exemple, le prix du dentifrice a triplé en une semaine, rapporte l’agence Bloomberg.

6•COMMENT LA SITUATION SOCIALE VA-T-ELLE ÉVOLUER?

«La colère contre le régime des mollahs s’amplifie et depuis une semaine des manifestat­ions ont lieu à Ispahan, à Chiraz et même à Téhéran malgré une forte présence des forces de l’ordre, fait remarquer l’universita­ire iranien Fereydoun Khavand. La ligne rouge est dépassée et la population demande des comptes à l’ayatollah Khamenei, l’homme fort du régime.» Selon lui, le président Rohani est lui-même affaibli et on lui impose un remaniemen­t ministérie­l pour inclure des éléments durs et radicaux dans le gouverneme­nt.

7•QUE VEUT WASHINGTON PAR RAPPORT À TÉHÉRAN?

Lorsqu’ils ont signé l’accord nucléaire en 2015, les Etats-Unis, alors sous la présidence de Barack Obama, avaient espéré une nouvelle orientatio­n de la part des dirigeants iraniens. Celle-ci n’a pas eu lieu. Le régime iranien a commencé à profiter de la fin des sanctions, mais a poursuivi sa politique hostile, notamment en appelant à la destructio­n d’Israël. «A présent, les Européens voudraient bien aider les Iraniens mais les religieux au pouvoir ne leur facilitent pas la tâche», fait remarquer Fereydoun Khavand, l’ancien professeur à Paris-Descartes. ▅

«La monnaie iranienne se dévalue un peu plus chaque jour et l’inflation galopante a réduit considérab­lement le pouvoir d’achat» FEREYDOUN KHAVAND,

ANCIEN PROFESSEUR DE RELATIONS INTERNATIO­NALES À PARIS-DESCARTES

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(ATTA KENARE/AFP) A Téhéran, des commerçant­s du Grand Bazar s’élevaient en juin dernier contre la dégringola­de du rial sur le marché des changes. Désormais, les manifestat­ions se multiplien­t contre la chute du pouvoir d’achat des Iraniens.

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