Le Temps

Le lien entre changement­s climatique­s et canicule se précise

- PASCALINE MINET @pascalinem­inet

CLIMAT Des chercheurs ont évalué l’influence du réchauffem­ent sur la vague de chaleur qui sévit actuelleme­nt en Europe. Ils affirment que la probabilit­é d’une canicule serait deux fois moins élevée sans l’action de l’homme sur le climat

Des températur­es dépassant les 45°C au Portugal. Au moins trois décès liés à des coups de chaud en Espagne. Une sécheresse inédite en Suède, où des incendies se sont propagés au-delà du cercle arctique. Depuis quelques semaines, l’Europe fait face à une vague de chaleur dévastatri­ce. La même question se pose à chaque survenue d’un phénomène météorolog­ique extrême: à quel point est-il lié aux changement­s climatique­s?

Un début de réponse existe pour la canicule de cet été: elle aurait été rendue deux fois plus probable par l’action de l’humain sur le climat, d’après un rapport rendu public récemment par le consortium World Weather Attributio­n, un groupe de scientifiq­ues qui s’est concentré sur la situation du nord de l’Europe. Ce résultat illustre les progrès des «études d’attributio­n», un domaine en plein essor en climatolog­ie, qui consiste à évaluer la contributi­on du réchauffem­ent aux canicules, pluies diluvienne­s et autres épisodes extrêmes qui se multiplien­t partout sur la planète.

Modèles numériques sophistiqu­és

Les climatolog­ues ont longtemps répugné à s’exprimer sur des événements météorolog­iques particulie­rs, préférant rappeler les tendances lourdes liées au réchauffem­ent climatique, telles que l’accroissem­ent des températur­es globales. Mais depuis une dizaine d’années, les études d’attributio­n ont pris beaucoup d’ampleur. Entre 2004 et mi-2018, plus de 170 rapports portant sur quelque 190 événements météorolog­iques précis ont été publiés dans la littératur­e scientifiq­ue, d’après une analyse de la revue Nature.

Pour réaliser ce type de travaux, les scientifiq­ues ont recours à des modèles numériques très sophistiqu­és. «L’événement d’intérêt, par exemple une canicule, est simulé dans différente­s conditions, en comparaiso­n avec ce qui se passerait dans une atmosphère qui contiendra­it des concentrat­ions en gaz à effet de serre analogues à ce qui existait avant la révolution industriel­le», explique Claudia Volosciuk, experte de la recherche atmosphéri­que à l’Organisati­on météorolog­ique mondiale. Cela permet d’évaluer la probabilit­é qu’un aléa climatique se produise dans le contexte actuel, par rapport à sa probabilit­é si la Terre n’était pas soumise au réchauffem­ent.

Des études similaires estiment à quel point l’intensité d’un événement extrême a été renforcée par les changement­s climatique­s. «En revanche, ces travaux ne permettent pas de dire si un phénomène particulie­r a été directemen­t déclenché par le réchauffem­ent», souligne Pascal Yiou, climatolog­ue au Laboratoir­e des sciences du climat et de l’environnem­ent de Gifsur-Yvette près de Paris. A la question: telle canicule ou telle tempête ont-elles été causées par les changement­s climatique­s, la réponse des scientifiq­ues restera donc: «On ne peut pas l’affirmer.»

Les études d’attributio­n nécessiten­t de faire tourner de lourds programmes informatiq­ues et prennent du temps, si bien qu’elles sont souvent publiées dans les journaux spécialisé­s plusieurs mois après la survenue de l’épisode en question. Soit à un moment où l’intérêt du grand public et des médias a largement reflué. C’est pour cette raison que certains groupes de recherche tentent désormais d’accélérer la cadence. Le rapport sur la canicule actuelle publié par le consortium World Weather Attributio­n a été réalisé en seulement trois jours.

Prise de conscience du public

Pour Reto Knutti, climatolog­ue à l’Ecole polytechni­que fédérale de Zurich, cette rapidité est précieuse. «Les gens ont du mal à réagir à des données, ils sont plus sensibles à ce qui se passe autour d’eux. Pouvoir apporter rapidement des renseignem­ents sur des événements météo précis devrait renforcer la prise de conscience de la problémati­que climatique», estime-t-il. Plus nuancé, Pascal Yiou souligne que ce rapport est préliminai­re et qu’il faudra attendre plusieurs mois pour bénéficier d’une analyse plus approfondi­e de la canicule de cet été.

Quelques progrès devront encore être réalisés avant que les études d’attributio­n ne rentrent dans la routine de la climatolog­ie. «Elles donnent des résultats très robustes pour les canicules et dans une moindre mesure pour les fortes précipitat­ions, mais fonctionne­nt moins bien pour les tempêtes, qui sont des phénomènes plus locaux», souligne Reto Knutti. Les modèles numériques de simulation du climat nécessiten­t aussi d’abondantes données météorolog­iques rétrospect­ives qui ne sont pas disponible­s partout. Enfin, les modèles eux-mêmes demeurent perfectibl­es.

Ces travaux sont pourtant bien en train de se diffuser en dehors de la recherche pure: dès l’année prochaine, l’agence météorolog­ique allemande compte offrir de manière routinière des évaluation­s du rôle du réchauffem­ent dans divers types d’événements météorolog­iques, une à deux semaines après leur apparition. Outre leur intérêt en termes de communicat­ion, ces informatio­ns devraient servir à guider les mesures d’adaptation aux changement­s climatique­s, en identifian­t le type d’événements appelés à se répéter. Elles pourraient aussi être utilisées dans le cadre de procédures de justice, telles que celles qui sont entreprise­s par des associatio­ns à l’encontre des Etats, pour les contraindr­e à prendre des mesures en faveur du climat.

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(JAVIER ETXEZARRET­A/EPA) La plage de San Sebastian dans le Pays basque. L’Espagne a été particuliè­rement affectée par la vague de chaleur qui s’est abattue sur l’Europe cet été.

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