Point barre
Le correcteur de presse pratique un exercice de haute voltige. S’emparant d’un texte journalistique, il doit suivre le fil rouge de la pensée de son auteur qui, tout à son élan créatif, a semé au passage quelques pièges non volontaires: une imprécision, une répétition, le surgissement d’un pléonasme ou d’une anacoluthe (cette rupture syntaxique qui fait que le sujet d’une phrase se perd en route)…
D’un fil rouge, le correcteur s’engage alors sur une corde raide, pouvant à tout moment basculer soit dans la négligence coupable en laissant une faute grossière, soit dans le crime de lèse-majesté en dénaturant la manière de s’exprimer, la «patte» du rédacteur. Car les bizarreries grammaticales citées plus haut résultent parfois d’une appropriation très personnelle de la langue française, qui s’appelle «le style».
Style auquel participe la ponctuation. Le maniement du point paraît simple: pour clore une phrase, on n’a pas trouvé mieux. Quant à la fonction du point-virgule, contesté et mal-aimé, elle reste louable: séparer deux propositions qui ont un lien de sens. L’utilisation de la virgule est beaucoup plus aléatoire. Certains en éparpillent à tout va, sans discernement, d’autres la dédaignent, livrant une prose sans respiration, oppressante.
C’est ainsi qu’un jour où nous avions décidé de donner un rythme à une énumération entrecoupée de virgules en remplaçant la dernière de la liste par «et», nous avons reçu un message outré du rédacteur, dont voici un extrait: «… cette correction, qui pourrait paraître a priori mineure, simplifie et porte atteinte au sens de ma phrase et de ma pensée». Voilà comme il est facile pour un traqueur de fautes de perdre l’équilibre. Mais dans tous les cas, c’est lui, malheureusement pour l’auteur sourcilleux, qui a le dernier mot.
Point barre.