Le spectre de la récession est de retour
Selon les observations de l’OMC, les commandes à l’exportation ainsi que les frets aérien et maritime vont battre de l’aile ces prochains mois. Des observateurs craignent que, en cas d’escalade, le monde ne replonge dans la récession comme en 2008
Commandes à l’exportation, frets aérien et maritime, commerce des composants électroniques; tous ces secteurs donnent des signes de faiblesse qui inquiètent sérieusement les milieux du commerce international, déjà secoués par Washington
Sur fond de guerre commerciale, la situation du commerce mondial se dégrade. Selon le dernier indicateur des perspectives du commerce mondial (WTOI) publié le 9 août par l’Organisa- tion mondiale du commerce (OMC) à Genève, il est probable que l’expansion du commerce va encore ralentir au troisième trimestre 2018. Quatre des sept composants de cet indicateur – les commandes à l’exportation, le fret aérien, le fret maritime et le commerce des composants électroniques – sont désormais orientés à la baisse par rapport au dernier indice WTOI publié en mai. Le volume des échanges ainsi que la production et l a vente d’automobiles demeurent stables. Et il n’y a que l’échange des matières premières agricoles qui soit en hausse. Le 12 avril dernier déjà, le WTOI avait prédit un repli de la croissance du volume du commerce de marchandises de 4,7% en 2017 à 4,4% en 2018.
L’OMC reste prudente dans son communiqué: «Le WTOI laisse entendre que le dynamisme du commerce va encore s’affaiblir au troisième trimestre 2018.» Mais pour certains analystes, cela signi- fie que le spectre de la récession revient hanter l’économie mondialisée.
L’administration Trump a lancé depuis quelques mois une guerre commerciale sur de multiples fronts: Chine, Union européenne, Mexique, Canada et Japon. Or la seule escalade des mesures punitives et de rétorsion entre Washington et Pékin pourrait, d’ici à 2010, amputer le PIB planétaire de 0,7%, selon les estimations du cabinet Oxford Economics.
«En cas d’escalade, le monde plongera dans une récession de la même ampleur que celle de 2008» SABRINA KHANNICHE, ÉCONOMISTE CHEZ PICTET ASSET MANAGEMENT
Trois mois après le début de la guerre commerciale, le World Trade Outlook Indicator (WTOI), publié jeudi par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et qui dessine l a tendance des échanges internationaux, est tout près de passer en zone rouge. Quatre des sept éléments qui composent cet indicateur trimestriel, à savoir les commandes à l’exportation, le fret aérien, le fret maritime et le commerce de composants électroniques, sont orientés à la baisse par rapport au dernier WTOI, publié en mai. Le volume des échanges et la production et l a vente d’automobiles sont stables. Seul le commerce de matières premières agricoles évolue positivement.
Roberto Azevedo, le directeur de l’OMC, s’est abstenu jeudi de faire de commentaire sur l’évolution du WTOI. Mais dans une prise de position reçue par Le Temps, il ne cache pas son inquiétude. «La situation est grave, écrit-il. Les restrictions au commerce réciproques ne peuvent pas être la nouvelle norme. La poursuite de l’escalade risquerait de menacer les emplois et la croissance dans tous les pays, touchant surtout les plus pauvres.» Le Brésilien y lance un appel au secours à tous ceux qui considèrent le commerce comme une force positive: ces derniers doivent faire entendre leur voix. «Le silence pourrait être aussi dommageable que les actes qui conduisent à une guerre commerciale», plaide-t-il.
«On peut craindre le pire»
Sur le terrain, les clignotants rouges se multiplient. En Allemagne, la production industrielle a reculé en juin de 0,9% par rapport au mois précédent. Les commandes i ndustrielles pour l a même période, dévoilées lundi dernier, ont plongé de 4% sur un mois. Le tassement observé intervient clairement dans un contexte international tendu en raison des hostilités commerciales entre les Etats-Unis et l’Union européenne d’un côté, et la Chine de l’autre. En réalité, les conséquences se Depuis l’introduction de tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium importés aux Etats-Unis, la guerre commerciale a pris une ampleur qui inquiète de nombreux pays. Pour Roberto Azevedo, directeur de l’OMC, «la situation est grave. Les restrictions au commerce réciproques ne peuvent pas être la nouvelle norme.» feront ressentir davantage ces prochains mois.
«Je dois admettre que la situation s’est détériorée, déclare Christian Grimme, économiste à l’Ifo, institut de recherches économiques lié à l’Université de Munich. On peut craindre le pire en cas d’escalade dans la guerre commerciale.» Il sait de quoi il parle. L’Ifo a publié jeudi son World Economic Climate; cet indicateur trimestriel est orienté à la baisse. «La période de boom que nous avons connue encore l’an passé ne se répétera pas», poursuit-il. Christian Grimm ne voit toutefois pas de chute brutale de l’économie mondiale: «Le ralentissement sera graduel», espère-t-il.
Selon Sabrina Khanniche, économiste chez Pictet Asset Management (PAM), les risques sont liés à l’imprévisibilité du président américain Donald Trump. «Les incertitudes peuvent impacter l’investissement qui, à son tour, peut ralentir l a croissance, avance-t-elle. En cas d’escalade, le choc d’offre et de demande freinerait la croissance et plongerait l’économie mondiale dans une récession sévère.»
Taïwan, indicateur avancé
Pour Sabrina Khanniche, Washington doit prendre conscience que les mesures de rétorsion chinoises et européennes portent surtout sur des produits finis américains et affectent directement l’économie des Etats-Unis.
L’économiste de Pictet ne se veut toutefois pas pessimiste. En effet, PAM fait ses analyses à partir un indicateur particulier: les commandes des biens auprès de Taïwan, le pays le plus intégré aux chaînes des valeurs mondiales. «Les commandes ont ralenti légèrement durant les trois derniers mois, mais la tendance reste à la hausse», fait remarquer Sabrina Khanniche.
Si les tensions s’estompent, la croissance repartira, tirée par les investissements, selon Sabrina Khanniche. «Les politiques fiscales, notamment en Chine, sont favorables, les conditions de financement sont i ntéressantes » , affirme l’économiste.
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