Ethan Hawke, un oeil d’or
LOCARNO FESTIVAL L’acteur et réalisateur américain Ethan Hawke a reçu un Excellence Award en marge de la projection sur la Piazza Grande de «Blaze», un biopic qu’il a consacré à un musicien country folk oublié. Rencontre avec un homme généreux
Distingué à Locarno par un Excellence Award, le comédien et réalisateur Ethan Hawke a bâti sa filmographie sur un fil rouge: l’honnêteté. Rencontre.
Certains acteurs ont plus de chance que d’autres. A moins que ce soit de l’instinct. Alors qu’il n’a même pas 15 ans, Ethan Hawke vit sa première expérience cinématographique sous la direction de Joe Dante, un des maîtres du cinéma de genre. Explorers (1985) est un film de science-fiction à petit budget qui fera du jeune Texan, à l’instar de son partenaire disparu trop jeune River Phoenix, une promesse du nouveau cinéma américain. Quatre ans plus tard, c’est la consécration: Ethan Hawke est à l’affiche du Cercle des poètes disparus, de Peter Weir. Ce film profondément humaniste et parlant de l’importance de la littérature pour l’élévation de l’âme est un triomphe, il bouleversera plusieurs générations de spectateurs.
Lorsqu’on rencontre Ethan Hawke dans le salon d’un hôtel locarnais, on ne peut s’empêcher d’évoquer ce film culte. Avec cette interrogation: était-il possible, sur le plateau, de se rendre compte à quel point cette aventure serait marquante? «Un jour que je faisais l’imbécile après avoir renversé la pile de livres d’un camarade, Norman Lloyd, qui jouait le proviseur, m’a appelé. Il m’a dit de me concentrer sur ce que je vivais: «Tu ne le sais pas parce que tu es trop jeune, mais tu es en train de vivre une des plus grandes expériences de ta vie.» Il avait été membre du Mercury Theatre d’Orson Welles, et m’a raconté que lorsqu’il jouait sous sa direction dans Jules César, il pensait qu’il aurait des centaines d’expériences aussi extraordinaires. Ce qui ne fut pas le cas. C’est lui qui m’a rendu conscient du fait que l’on tournait un film spécial. Et il avait raison.»
La clé? Des acteurs détendus
Depuis Before Sunrise en 1995, Ethan Hawke a tourné sept fois sous la direction de Richard Linklater. «On a écrit des films ensemble, on a fait de l’animation, du théâtre. Si vous mettez bout à bout toutes nos collaborations, j’ai dû travailler cinq pleines années avec lui. Donc forcément, le réalisateur que je suis aujourd’hui lui doit beaucoup. Il est devenu une partie de mon cerveau.»
Linklater, explique-t-il, aime les répétitions. Avant un tournage, il travaille longuement avec ses acteurs, à tel point que ceux-ci n’ont plus qu’une envie, se retrouver sur le plateau. «Du coup, le tournage est une libération, c’est très relaxant. Et c’est quand un acteur est le plus détendu qu’il est le plus créatif… J’essaie de faire la même chose sur mes tournages. Je mets mes acteurs à l’aise. S’ils ne sont pas contents d’une scène, je la coupe.»
Ethan Hawke a été à l’affiche de films indépendants comme de grosses productions. Il a été dirigé par Robert Redford, Sidney Lumet ou encore Alfonso Cuarón. Voir ces réalisateurs au travail a été son école de cinéma, il a pu forger son propre style en utilisant toutes ces influences, dit-il. Surtout, il a acquis la certitude que, trop souvent, les metteurs en scène ont des connaissances insuffisantes du métier d’acteur. «Certains donnent trop d’importance à la photographie. Mais aussi belle soit-elle, si ce que vous filmez n’est pas intéressant, le film ne le sera pas. On apprend beaucoup sur les acteurs en travaillant au théâtre. Car là, ils sont seuls, ils ne peuvent se cacher. Alors qu’au cinéma, lors du montage, vous pouvez les aider.»
Lors de la masterclass publique qu’il a donnée lors de son passage au Locarno Festival, Ethan Hawke est revenu plus en profondeur sur sa filmographie hétéroclite. Pour lui, un bon film est un film qui est honnête avec son public, et dans lequel un réalisateur a mis beaucoup de lui-même. Un film de zombies peut ainsi se révéler aussi intéressant qu’une oeuvre d’Ingmar Bergman. Comme spectateur, il aime les longs métrages qui ont plusieurs couches, et cite Le parrain, de Francis Ford Coppola, et Une femme sous influence, de John Cassavetes.
Ethan Hawke s’apprête à tourner sous la direction de Hirokazu Kore-eda, Palme d’or au dernier Festival de Cannes. La perspective le réjouit, d’autant plus que le Japonais a écrit un rôle extraordinaire pour Catherine Deneuve, qui sera sa partenaire au côté de Juliette Binoche. Dans la trilogie Before Sunrise, Before Sunset, Before Midnight, coécrite avec Richard Linklater et Julie Delpy, il a aimé que les regards masculin et féminin soient à égalité, alors que souvent, au cinéma, l’un ou l’autre est privilégié en fonction du sexe de l’auteur(e). Des acteurs, il dit encore qu’ils ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils se mettent à nu: «Quand vous voyez Vol au-dessus d’un nid de coucou, vous sentez le sang de Jack Nicholson couler dans le film.»
«Quand vous voyez «Vol au-dessus d’un nid de coucou», vous sentez le sang de Jack Nicholson couler dans le film»
Ode à un musicien oublié
A Locarno, Ethan Hawke a reçu un Excellence Award pour l’ensemble de sa carrière. Il a aussi dévoilé en première internationale son dernier film en tant que réalisateur, le biopic Blaze. Il y raconte de manière organique, en entremêlant trois temporalités, le destin du musicien country folk Blaze Foley, décédé en 1989 à 39 ans et aujourd’hui oublié, alors qu’il aurait pu être l’équivalent d’un Townes Van Zandt, dont il fut proche. Son film est merveilleux, on sent justement qu’il y a mis beaucoup de lui, tout en usant d’un montage erratique ne cherchant pas à percer le mystère d’un artiste à part. Le film devrait sortir en novembre, on aura l’occasion d’y revenir.
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