Le Temps

Des familles valaisanne­s se battent contre une ligne à très haute tension

- GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

Les parents de la commune valaisanne redoutent que la future ligne à très haute tension Chamoson-Chippis impacte la santé de leur progénitur­e. Mais leurs craintes sont-elles fondées? Eléments de réponse

«Nous ne voulons pas prendre le risque de voir nos enfants tomber gravement malades.» Sébastien Bucher et sa femme Séverine sont inquiets, au point de se demander s’ils ne feraient pas mieux de vendre leur maison et de déménager. L’objet de leurs craintes: la future ligne à très haute tension (THT) Chamoson-Chippis, dont le tracé passe à proximité de l’école de leur village de Grône. Ils redoutent que cette autoroute électrique ait une incidence sur la santé de leurs filles.

«Qui définit la norme? Peut-on faire confiance à ces gens après tous les scandales du passé?»

SÉBASTIEN BUCHER, PARENT D’ÉLÈVES DU VILLAGE DE GRÔNE

Soutenus par d’autres parents de la commune, ils ont créé le Regroupeme­nt pour les écoles sans pylônes électrique­s (RESPE). «Nous voulons garantir à nos enfants un environnem­ent exempt de risques potentiels pour leur santé», insiste Sébastien Bucher qui préside l’associatio­n. Aux côtés d’autres opposants à l’autoroute électrique, ils se sont battus pour l’enfouissem­ent de la ligne THT. Sans succès. Désormais, ils militent pour une modificati­on du tracé de la future ligne aérienne, afin de l’éloigner au maximum de l’école.

«Peut-être cancérogèn­es pour l’homme»

Les parents de Grône craignent que leurs enfants ne développen­t des leucémies infantiles. Depuis 1979, plusieurs études épidémiolo­giques ont régulièrem­ent constaté qu’à partir d’une exposition à un champ magnétique moyen de 0,4 microtesla, le risque de cancer du sang chez les enfants pourrait être deux fois plus élevé. C’est ce qui a poussé le Centre internatio­nal de recherche sur le cancer à classer, dès 2002, les champs magnétique­s de basse fréquence comme «peut-être cancérogèn­es pour l’homme». Ce risque pourrait expliquer un nouveau cas de leucémie infantile sur les 60 développée­s chaque année en Suisse.

«Ces effets à long terme ne sont pas prouvés, explique Frank Brügger, collaborat­eur scientifiq­ue auprès de l’Office fédéral de l’environnem­ent. Mais ces soupçons scientifiq­ues ont poussé la Confédérat­ion à prendre des mesures, car en Suisse nous connaisson­s le principe de précaution.» Pour les lieux à utilisatio­n sensible, comme les appartemen­ts, les écoles, les hôpitaux, les bureaux ou encore les places de jeu, la valeur limite du champ magnétique a ainsi été fixée à 1 microtesla, dans l’ordonnance sur la protection contre le rayonnemen­t non ionisant.

«C’est 100 fois moins que le seuil qui doit être respecté partout et en tout temps en Suisse», précise Frank Brügger. Mais cette limite reste supérieure au seuil de suspicion de 0,4 microtesla des études épidémiolo­giques. «Ce seuil de suspicion est une valeur moyenne», ajoute Frank Brügger, alors que la valeur limite suisse doit être respectée lorsque les lignes THT fonctionne­nt à plein régime. «Ce qui est rarement le cas», ajouter Frank Brügger, tout en soulignant qu’en moyenne ces lignes sont exploitées à 40% de leurs capacités, «ce qui nous ramène à 0,4 microtesla».

Pour obtenir l’autorisati­on de construire la ligne THT Chamoson-Chippis, Swissgrid a dû respecter les normes fédérales en matière de champs électromag­nétiques sur l’ensemble du tracé, et donc dans la région de l’école de Grône. L’établissem­ent se trouve à 101 mètres de l’axe de la ligne et, selon les calculs de la société, le champ électromag­nétique atteindra une valeur de 0,08 microtesla. Swissgrid s’empresse d’ajouter que «les calculs s’effectuent toujours au maximum de la charge alors que la ligne ne le sera pratiqueme­nt jamais» et qu’ainsi «dans la réalité les champs magnétique­s seront bien moindres».

Ces arguments ne convainque­nt guère les parents de Grône. «Qui définit la norme? Peut-on faire confiance à ces gens après tous les scandales du passé?», s’interroge Sébastien Bucher en évoquant notamment l’amiante ou le bisphénol. Convaincus que les normes vont évoluer dans le futur, les membres du RESPE souhaitera­ient un déplacemen­t des pylônes afin d’agrandir la marge de sécurité.

Swissgrid droite dans ses bottes

Depuis la cour d’école de Grône, Sébastien Bucher pointe du doigt le coteau: «Déplacer le tracé de 200 mètres n’est pas utopique. Il y a la place pour le faire.» Depuis quelques semaines, le monde politique valaisan, dans son ensemble, soutient cette demande. Le Conseil d’Etat a même débloqué 250 000 francs pour que des études de faisabilit­é soient réalisées.

Mais de son côté, Swissgrid ne plie pas. Et son discours reste le même, à la virgule près. La société construira la ligne THT telle qu’elle a été approuvée par l’Office fédéral de l’énergie, il y a plus de trois ans, puis par le Tribunal fédéral (TF), en septembre 2017. Les travaux ont d’ailleurs déjà débuté. «Un éventuel futur déplacemen­t des pylônes ne pourra avoir lieu qu’après la mise en service de la ligne autorisée par le TF», insiste-t-elle.

Pourtant, le déplacemen­t de la ligne modifierai­t considérab­lement les champs électromag­nétiques. «Si la distance double, la valeur du champ est divisée par quatre», explique Frank Brügger. L’éloignemen­t est donc le moyen le plus efficace pour diminuer l’exposition aux champs électromag­nétiques. «Mais ce n’est pas simple de déplacer une ligne», rappelle-t-il.

Les parents de Grône en sont conscients, c’est pourquoi ils souhaitera­ient modifier le tracé avant que la ligne ne soit construite. Malgré la position tranchée de Swissgrid, ils ne baissent pas les bras et espèrent que leur combat permettra de trouver une solution qui convienne à tout le monde.

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) La famille Bucher devant l’école.

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