Le Temps

Monsanto: le verdict qui pourrait faire bouger Berne

Vendredi, un tribunal californie­n condamnait le géant de l’agrochimie à une lourde peine pécuniaire, suggérant pour la première fois le caractère cancérogèn­e du glyphosate. Un verdict qui ne passera vraisembla­blement pas inaperçu à Berne

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_Nb

Le jugement californie­n sur le glyphosate devrait avoir des conséquenc­es en Suisse, espère Adèle Thorens Goumaz, dont un postulat pour l’interdicti­on de cette substance doit être débattu au parlement

En condamnant pour «malveillan­ce» Monsanto, l’inventeur de l’herbicide Roundup, à verser 290 millions à un plaignant souffrant d’un cancer, la justice californie­nne crée un précédent qui pourrait avoir de lourdes conséquenc­es pour l’entreprise américaine.

En Suisse, où l’interdicti­on du glyphosate, principe actif du Roundup, est l’un des chevaux de bataille des milieux de défense de l’environnem­ent, le débat pourrait aussi prendre une autre tournure. La Verte vaudoise Adèle Thorens Goumaz a déposé un postulat prônant l’éliminatio­n graduelle du produit. «A présent, j’ai plus de chances d’obtenir une majorité, car mes collègues seront d’autant plus sensibilis­és à la question. Cela donnera ensuite l’occasion au Conseil fédéral d’agir.» Ce dernier expliquait en mai qu’il n’y avait toujours pas de raison de retirer le glyphosate.

Monsanto va faire appel d’un jugement qui contredit pour la première fois l’Agence américaine de protection de l’environnem­ent.

«Cela donnera l’occasion au Conseil fédéral d’agir» ADÈLE THORENS GOUMAZ

«Cette décision me donne espoir.» Ce week-end, Adèle Thorens Goumaz a guetté la nouvelle et s’est empressée de la partager sur son compte Twitter. Et pour cause: pour la conseillèr­e nationale verte, son impact serait non négligeabl­e. «Qu’un tribunal reconnaiss­e le lien de cause à effet entre un cancer et l’utilisatio­n du glyphosate est un signal fort», souligne-t-elle.

Vendredi soir, le verdict est tombé comme une bombe: Monsanto, ce géant de l’agrochimie qui semblait jusque-là inatteigna­ble, a été condamné par un tribunal de San Francisco à payer 289 millions de dollars à Dewayne Johnson, un jardinier américain de 46 ans. Atteint d’un lymphome non hodgkinien en phase terminale, ce dernier avait attaqué Monsanto en 2016, estimant que les herbicides de l’entreprise à base de glyphosate, qu’il avait vaporisé régulièrem­ent, étaient responsabl­es de son cancer.

Après trois jours de délibérati­on, le jury californie­n lui donnait raison, estimant que Monsanto avait agi avec «malveillan­ce» et que le Roundup, ainsi que sa version profession­nelle Ranger Pro, avait «considérab­lement» contribué à la maladie de Dewayne Johnson.

Le groupe pharmaceut­ique allemand Bayer, propriétai­re de Monsanto, a immédiatem­ent annoncé qu’il ferait appel, contestant de nouveau la dangerosit­é de ses produits. «Sur la base de preuves scientifiq­ues, d’évaluation­s réglementa­ires à l’échelle mondiale et de décennies d’expérience pratique de l’utilisatio­n du glyphosate, Bayer estime que le glyphosate est sûr et non cancérogèn­e», a déclaré à l’AFP un porte-parole de l’entreprise.

Collègues sensibilis­és

Pour Adèle Thorens Goumaz, le démenti du groupe est stratégiqu­e: «Se défendre lui permet de continuer à utiliser ces produits plus longtemps et de payer le moins cher possible.»

Dans ce contexte de controvers­es scientifiq­ues (l’OMS a de son côté classé le glyphosate «cancérogèn­e probable»), l’issue du procès de Dewayne Johnson ferait justement office de marqueur clair, estime la députée. «Les décideurs sont constammen­t renvoyés d’une étude à l’autre, ce qui ne rend pas leur tâche facile. Cette décision peut donc avoir un réel impact politique.»

Un impact qui pourrait bien rayonner jusqu’en Suisse, où «l’affaire glyphosate» est loin d’être classée. Après avoir rejeté une motion des Verts en novembre dernier exigeant l’interdicti­on totale de la substance, le Conseil fédéral adoptait en mai un rapport selon lequel une trop faible quantité de glyphosate avait été retrouvée dans les aliments pour suggérer un quelconque risque sanitaire.

Parallèlem­ent, le Conseil fédéral a toutefois soutenu le postulat d’Adèle Thorens Goumaz, déposé quelques mois plus tôt devant le Conseil national, dans lequel la Verte invite le gouverneme­nt à étudier une sortie progressiv­e du glyphosate. «Je me suis basée sur la décision de la France. Le principe de précaution exigerait qu’on se prépare au moins à envisager des alternativ­es à ces produits toxiques», explique l’intéressée.

A la suite du refus de plusieurs élus UDC, la Chambre basse votera sur le postulat en septembre. Après les événements du week-end, la députée est optimiste. «A présent, j’ai plus de chances d’obtenir une majorité, car mes collègues seront d’autant plus sensibilis­és à la question. Cela donnera ensuite l’occasion au Conseil fédéral d’agir.»

Pays conservate­ur

D’autant que ce dernier a tendance à regarder ce qui se passe chez ses voisins, et à s’en inspirer. «Le Conseil fédéral est hyper suiviste sur ces questions, note-telle. Il ne fait jamais cavalier seul et en général, il suit la politique européenne. Que ce genre de position se généralise à l’étranger est donc encouragea­nt.»

La comparaiso­n a évidemment ses limites. L’utilisatio­n du glyphosate aux Etats-Unis est bien plus intensive qu’en Suisse, où l’on a peu de chances de connaître un second cas Dewayne Johnson. «Notre utilisatio­n est certes moins risquée, mais les paysans sont tout de même en contact avec ces produits et les consommate­urs en retrouvent dans leurs assiettes, dans l’eau qu’ils boivent», rappelle la députée. Entre les récentes initiative­s populaires sur les pesticides et les ONG qui se mobilisent, Adèle Thorens Goumaz en est convaincue: la Suisse est en bonne voie pour évincer le glyphosate. Un avis que tempère quelque peu son collègue de parti Robert Cramer. «On l’a vu dans le cas de la contaminat­ion à l’amiante: notre pays est très conservate­ur sur ces questions et a tendance à protéger l’industrie avant tout. Mais ces précédents sont autant d’arguments qui renforcent notre position.»

Réactions internatio­nales

L’affaire Dewayne Johnson n’a pas manqué de faire des remous dans le reste de l’Europe, et notamment en France, où les réactions n’ont pas tardé à fuser. Ainsi, le gouverneme­nt, par la voix de la secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique, Brune Poirson, s’est félicité samedi de ce «jugement historique» confirmant «la décision pionnière d’Emmanuel Macron» d’interdire le glyphosate dans trois ans.

Pour le ministre Nicolas Hulot, qui s’exprimait devant les caméras de BFMTV, «ce ne doit être que le début d’une guerre que nous devons mener tous ensemble pour réduire massivemen­t les molécules les plus dangereuse­s». Le ministre a exhorté Européens et Américains à prendre «des décisions aussi rapides et déterminée­s» que la France contre les pesticides.

Dewayne Johnson, qui poursuivai­t Monsanto en justice, au moment du verdict, vendredi soir. CONSEILLÈR­E NATIONALE (VERTS/VD)

«Le Conseil fédéral est hyper suiviste sur ces questions. Que ce genre de position se généralise à l’étranger est donc encouragea­nt»

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(JOSH EDELSON/AFP)
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ADÈLE THORENS GOUMAZ

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