L’avenir de Palexpo selon son patron, Claude Membrez
Après la débâcle de Baselworld et la démission de son organisateur, le patron de Palexpo à Genève, Claude Membrez, revient sur le contexte dans lequel évolue l’événementiel. Pour lui, il faut être là où se trouvent exposants et visiteurs, y compris à l’ét
C’est le creux de l’été, les immenses halles de Palexpo sont vides. Des vapeurs de peinture s’échappent des entrées de parking, tout juste rafraîchies. Pourtant, malgré la torpeur estivale, Claude Membrez n’a pas tombé la cravate. Car, même si la centaine d’événements qui occupent les 106000 mètres carrés de surface ont généré un chiffre d’affaires record de 99,6 millions de francs l’an dernier, le contexte se tend dans la branche de l’événementiel.
Les récents déboires vécus par ses collègues bâlois de MCH l’illustrent, et certains événements phares de Palexpo n’échappent pas à une baisse du nombre de visiteurs et d’exposants. Mais, selon le Jurassien de 53 ans, ces grands rendez-vous sont loin d’être obsolètes et méritent d’être repensés, pour attirer le jeune public. Voire internationalisés: celui qui est aussi président de l’association européenne des centres d’exposition et de congrès voit notamment du potentiel en Chine.
A Bâle, la grand-messe horlogère Baselworld a perdu le 29 juillet le géant aux 18 marques, Swatch Group. A Genève, Opel, Ford et Volvo ont déclaré forfait pour la prochaine édition du Salon de l’automobile (GIMS). C’est la fin des grandes foires d’exposition? Non. Il y a et il y aura toujours de grandes expositions. Faisons un pas en arrière: au XIXe siècle, après la révolution industrielle, on voit se dynamiser les associations professionnelles. D’abord au niveau local, puis régional, jusqu’à prendre des dimensions continentales. Ce sont notamment ces associations qui sont à l’origine des foires et salons. Or, les métiers évoluent, parfois disparaissent complètement. Les foires demeurent des lieux de rencontre importants pour sentir ces évolutions, prendre la température, acheter, vendre, se tenir informé et comparer. Mais elles doivent évoluer en parallèle. Il incombe aux organisateurs d’identifier les tendances et ainsi les besoins des exposants et visiteurs. C’est un défi quotidien.
L’horlogerie aussi a évolué, les marques ont presque toutes leurs propres points de vente. Elles n’ont plus la nécessité de présenter leurs marques aux détaillants, lors de grands événements. Pourquoi dès lors organiser et participer à des rendez-vous comme le Salon international de la haute horlogerie (SIHH) ou le salon des sous-traitants de la branche (EPHJ-EPMT-SMT) à Genève? Tout réside dans ce qu’un organisateur propose aux exposants et aux visiteurs. Il doit être à l’écoute. Il s’agit de leur permettre de proposer ou de vivre une expérience conforme à leurs attentes. Il en va de même pour les événements plus populaires, comme les Automnales: pour la dernière exposition, par exemple, on a invité quelques exposants à manger et on les a écoutés. C’est ce qui nous a conduits à ajouter, notamment, une compétition de course à pied dans le cadre de l’événement, à consolider les animations et à créer des salons parallèles.
Comment riposter face aux difficultés rencontrées par le salon de l’automobile, qui représente un tiers des revenus de Palexpo? Le Salon de l’automobile lance, en partenariat avec le Salon de l’électronique de Berlin, un événement consacré aux innovations dans la branche. Cette convention, baptisée Shift automotive, se tiendra pour la première fois à Berlin en septembre et la deuxième fois dans le cadre du GIMS. Elle présentera des pistes de réflexion sur la mobilité individuelle de demain.
On l’a vu avec la perte de Telecom World en 2003, la concurrence n’est pas en Suisse, mais vient de l’extérieur. Comment y faire face? L’histoire de Telecom World est particulière. L’événement, tel qu’il existait alors à Genève, n’était plus adapté à l’accélération spectaculaire qu’a connue le secteur au début des années 2000, à la faveur d’innovations technologiques et de la privatisation des opérateurs. Mais il est vrai que, dans un contexte d’échanges globalisés, les entreprises ont externalisé des industries entières vers les pays émergents, ce qui s’est accompagné d’un transfert du savoir-faire vers ces mêmes pays. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui le plus grand salon du meuble ne se tient plus en Europe, mais en Chine. Aux organisateurs d’aller là où se trouvent l’industrie et ses exposants.
Cela signifie-t-il que les organisateurs de foires et salons vont davantage exporter leurs événements? Oui et c’est déjà très largement le cas. Ce fameux salon du meuble que j’ai cité en exemple, est toujours en main d’organisateurs occidentaux. La question se pose aujourd’hui avec la grande foire du jouet à Nuremberg. Pour les centres d’exposition allemands, l’international représente 15 à 25% de leurs événements. Nos confrères bâlois l’ont fait avec Art Basel à Miami, à Hongkong et à Singapour, ils sont allés à la rencontre de nouveaux acheteurs mais aussi d’artistes émergents.
Comment se traduit la présence de Palexpo à l’étranger? Nous avons décliné notre événement consacré à l’art contemporain, Art Genève, à Monaco et réfléchissons à un autre lieu où il pourrait trouver sa place. Nous organisons, en outre, pour la première fois un salon des inventions à Hongkong. L’année prochaine, ce sera peut-être au tour de Pékin. Enfin, nous avons marqué notre passage avec une présence au Salon du livre de Moscou et de Montréal.
C’est assez modeste comparé aux acquisitions pour plusieurs dizaines de millions de francs que font d’autres acteurs de la branche, notamment MCH. Est-ce pour ménager votre actionnaire majoritaire, l’Etat de Genève? La stratégie internationale définie par le conseil d’administration se veut prudente. Nous nous en tenons en principe à des alliances et des partenariats au sein d’événements déjà existants, c’est bien moins risqué en termes d’investissements. Si cela ne fonctionne pas, les pertes sont limitées et si le succès est au rendez-vous, nous nous partageons les gains. Le conseil d’administration impose la même prudence avec le bâtiment que nous exploitons: ce sont des rénovations par étapes. Cette année, nous avons refait les entrées de parking et rafraîchirons le boulevard [passage devant les entrées, ndlr] à l’automne. En effet, à l’instar de tous les gestionnaires de sites de foires,
«Notre stratégie internationale se veut prudente», explique Claude Membrez, directeur de Palexpo.
nous sommes une entité partiellement en mains publiques. L’Etat de Genève est notre actionnaire majoritaire (80%). Et même si, dans notre cas, nous ne touchons pas de subventions publiques, nous avons des comptes à rendre à la collectivité [le total des investissements est de 13 millions de francs inscrits au budget 2018, contre 8,5 millions l’an dernier, ndlr].
Qui sont aujourd’hui vos plus grands concurrents? Pour les salons que nous organisons en régie propre, avec un contenu que l’on maîtrise, nous ne sommes pour ainsi dire pas en concurrence, car il s’agit principalement de salons grand public. La concurrence est vive en revanche pour les événements professionnels que nous organisons ou que nous accueillons. Nous avons pour adversaires des salons établis dans des marchés importants et des villes attractives comme Barcelone, Amsterdam et Vienne, qui ne sont pas focalisées sur leur marché intérieur.
Comment vendre la destination quand l’affluence n’est pas toujours au rendez-vous? Ce qui importe, ce n’est pas la fréquentation, mais bien le retour sur investissement que peut espérer un exposant. J’insiste: un exposant peut très bien atteindre les objectifs qu’il s’est fixés en termes de ventes ou de contacts clients avec un nombre plus restreint de visiteurs. Et c’est ce qui compte pour nous. Cela dit, nous travaillons aussi à rajeunir notre public. Les adolescents d’aujourd’hui sont les consommateurs de demain. Voilà pourquoi nous avons, par exemple, lancé le Royaume du web l’an dernier. Pendant trois jours, nous rassemblons des stars de YouTube dans les halles de Palexpo et offrons ainsi aux jeunes la possibilité de rencontrer leur idole. La manifestation a connu un tel succès auprès d’eux que nous la reconduisons cette année en septembre. Avec un volet professionnel également.
Quels sont vos autres grands projets à venir? Nous organisons un festival du livre suisse à Sion et un prix littéraire à Lausanne. C’est important pour asseoir notre activité locale. D’autres événements internationaux sont en préparation. Nous sommes constamment à la recherche de bons événements. Le Salon de la météorologie aura lieu à Genève en 2019, par exemple (il était autrefois à Amsterdam, ndlr). Le salon Sibos, plus grand rendez-vous financier mondial, pourrait aussi faire son retour à Genève en 2025. Nous travaillons aussi sur un très gros événement, mais il est encore trop tôt pour en parler. En termes de bâtiment, la totalité des locaux d’accueil et des voiries sera rénovée dans les deux ans à venir. Le site sera également sécurisé avec de nouveaux flux pour marchandises. Des investissements dans la durabilité sont aussi en cours, pour améliorer la consommation énergétique du bâtiment.
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«La concurrence est vive pour les événements professionnels que nous organisons ou que nous accueillons»