Le parti de Marine Le Pen menacé d’asphyxie financière
Privé de 2 millions d’aide publique, le Rassemblement national va réduire à la rentrée ses activités politiques, tandis que sa présidente crie à l’assassinat politique
Le Rassemblement national (anciennement Front national) répète à qui veut l’entendre qu’il est menacé de mettre la clé sous la porte à l’automne. Le parti présidé par Marine Le Pen a en effet été privé en juillet par la justice, à titre conservatoire, de la subvention publique de 2 millions d’euros qui lui était due par l’Etat. Depuis une trentaine d’années, les partis politiques français sont financés par des fonds publics pour éviter les excès et les inégalités des dons que leur faisaient jadis les entreprises, et éliminer les risques de corruption. Ce financement est basé sur les résultats des partis au 1er tour des élections législatives et sur le nombre de parlementaires.
En 2017, le FN a réalisé un score modeste (13,2%) aux législatives par rapport aux résultats de Marine Le Pen à l’élection présidentielle (21,3% au 1er et 33,9% au second tour), mais en faisant tout de même élire six députés, dont Marine Le Pen elle-même. De quoi lui garantir environ 4,5 millions d’euros par an jusqu’aux législatives prochaines, prévues pour 2022.
Emplois présumés fictifs
Mais les juges Renaud Van Ruymbeke et Claire Thépaut, en raison de l’état d’endettement du parti, ont fait un lien entre cette dotation et l’affaire des emplois présumés fictifs des assistants parlementaires du Rassemblement national au Parlement européen. Le mouvement de Marine Le Pen est suspecté d’avoir utilisé le Parlement européen pour financer son activité politique. Plusieurs personnes sont mises en examen dans cette affaire. Préjudice estimé, selon l’institution bruxelloise: 7 millions d’euros. L’affaire n’a encore fait l’objet d’aucun jugement, mais les 2 millions d’euros confisqués font office de provision avant une éventuelle condamnation. Le Rassemblement national ayant fait appel, la décision définitive vient d’être renvoyée au 26 septembre.
Depuis, le RN crie au scandale et fait appel au dictionnaire des synonymes pour crier son indignation: «persécution financière et politique», «peine de mort à titre conservatoire», «menace dictatoriale», «coup de force inédit contre la démocratie», «volonté d’assassiner le premier parti d’opposition». En bandeau de leur compte Twitter, comme Marine Le Pen elle-même, beaucoup d’élus et de cadres ont repris la formule: «Des juges veulent tuer le Rassemblement national». Mais au-delà du RN, plusieurs leaders de partis politiques, jusqu’au Parti socialiste, se sont émus de cette décision qui est inédite, antérieure à tout procès et donc à toute condamnation.
Le parti, qui avait adressé un appel au secours à ses militants et sympathisants, a récolté 500000 euros émanant de 8000 personnes. Il se dit donc en mesure de payer fin août les salaires de ses quelque 50 salariés, ainsi que le loyer et les charges de son siège de Nanterre, en banlieue parisienne. Au-delà, il ne jure de rien et a décidé de revoir son programme d’actions a minima: l’Université d’été prévue mi-septembre à Fréjus, dans le Var, est remplacée par une session de formation des élus et un simple discours de Marine Le Pen.
Car il n’y a pas que la subvention publique qui bat de l’aile. Le nombre d’adhérents ne serait plus, selon une information publiée par Le Figaro, que de 31000, contre plus de 80000 annoncés avant l’élection présidentielle et plus de 50000 fin 2017. Les cadres avouent que les militants, qui avaient vraiment cru à une victoire de Marine Le Pen en 2017, ont pris un gros coup sur la tête. En raison de la défaite face à Emmanuel Macron, mais aussi (et surtout?) de la prestation ratée de leur candidate lors du débat télévisuel de l’entre-deuxtours. Depuis ce soir funeste du 3 mai 2017, beaucoup ont cessé d’y croire.
Fatwa bancaire
Les mésaventures financières du Rassemblement national, qui ne sont pas inédites (en 2007, le parti alors dirigé par Jean-Marie Le Pen avait frôlé le dépôt de bilan), font aussi apparaître une véritable anomalie: les banques françaises refusent de prêter de l’argent à ce parti-là, qui avait dû en 2014 se tourner vers une banque russe. En novembre 2017, la Société générale avait même clôturé les comptes du parti tandis que HSBC fermait le compte personnel de Marine Le Pen, laquelle dénonçait alors une «fatwa bancaire». Le FN n’avait alors même plus droit à un chéquier.
Pendant la campagne présidentielle, sur une idée du centriste François Bayrou, Emmanuel Macron avait promis la création d’une «banque de la démocratie», susceptible d’assainir les inégalités financières entre partis. Mais la promesse a été enterrée.