La guerre des prix des fonds s’intensifie
Fidelity a secoué le secteur de la gestion d’actifs avec ses deux nouveaux véhicules sans frais. Depuis l’arrivée des fonds négociés en bourse (ETF), les commissions des fonds de placement n’ont cessé de diminuer et plusieurs modèles émergent
Investir dans un fonds de placement peut désormais être gratuit. Depuis début août, il existe deux véhicules qui n’exigent plus aucune commission. C’est le gérant d’actifs américain Fidelity qui a pris cette initiative avec deux fonds indiciels, dont l’un se focalise sur le marché américain des actions et le second sur les bourses mondiales. «Les investisseurs veulent de l’argent dans leurs poches, pas dans celles de quelqu’un d’autre», a commenté Kathleen Murphy, responsable des activités d’investissement privé chez Fidelity dans le sillage de l’annonce.
Markus Fuchs, directeur de l’Association suisse des fonds de placement et de la gestion d’actifs (SFAMA) n’est pas vraiment étonné de la décision de la société américaine aux 2459 milliards de dollars sous gestion. Il n’y avait plus guère de secret autour de la volonté de Fidelity de réviser son modèle de commission. Le responsable voit ce développement d’un bon oeil: «Ces nouvelles approches sont compréhensibles et bienvenues.» D’autant que cela montre que la concurrence fonctionne, poursuit-il. Morningstar l’interprète aussi comme «une bonne nouvelle pour les investisseurs finaux», dans une note. La société de recherche sur les fonds de placement considère que cela ne peut que les aider à atteindre leurs objectifs financiers.
Déjà «quasi gratuit»
De fait, cette décision n’est que la dernière étape d’une guerre des prix féroce, entamée depuis le lancement des premiers fonds négociés en bourse (ETF), ces fonds indiciels qui se sont multipliés depuis le début des années 2000, et dont la fabrication et la gestion ne nécessitent que peu de ressource au regard des fonds traditionnels. «Le coût des fonds passifs et ETF les moins chers avait déjà chuté à des niveaux proches de la quasi-gratuité», rappelle d’ailleurs Morningstar.
Attendue, cette annonce a pourtant provoqué des remous en bourse. Tous les concurrents de Fidelity ont encaissé le choc le jour même. Pourtant, il n’y aura aucune conséquence sur le marché des fonds, considère, un peu provocateur, Detlef Glow. Le responsable de la recherche chez Lipper pour l’Europe et le MoyenOrient rappelle que des fonds sans commission avaient déjà été lancés à la fin des années 2000. «Nous sommes dans une époque où les frais sont scrutés, avec les nouvelles réglementations européennes sur ces questions. Néanmoins, les frais ont toujours une certaine marge pour baisser.» Le spécialiste cite l’exemple de l’Allemagne, «où des honoraires de gestion classiques, de 1,5%, sont habituellement partagés pour moitié avec des distributeurs, sous une forme ou une autre. Si cela n’est plus permis, les honoraires peuvent être divisés par deux.»
Prouver sa raison d’être
La bataille des prix ne touche d’ailleurs pas que les fonds dits passifs. Face à cette offre bon marché, les gérants actifs ont toujours plus de difficulté à justifier des tarifs élevés, à moins de battre largement les indices. Ce qui est rare sur la durée, comme l’ont montré plusieurs études académiques. «Les produits qui offrent peu de valeur ajoutée pour le client vont avoir toujours plus de peine à prouver leur raison d’être», reprend Markus Fuchs. Pour autant, tous les fonds ne vont pas faire disparaître leur commission. «Certains sont correctement valorisés», poursuit-il, estimant d’ailleurs qu’il ne doit pas y avoir qu’un seul modèle de prix pour toute l’industrie.
De nouveaux modèles de rémunération sont d’ailleurs apparus dans le monde des fonds classiques. Allianz a lancé ce printemps des fonds en actions avec des honoraires de gestion extrêmement bas, à 20 points de base, mais avec un élément lié à la performance de 20%. Lorsque ces fonds surperforment, la société allemande aux quelque 500 milliards d’euros sous gestion reçoit la seconde partie de la rémunération. Et elle devra attendre que toute sous-performance soit compensée pour recevoir ces honoraires.
Produits d’appel
Pour Fidelity, ces deux nouveaux fonds jouent le rôle de produits d’appel, affirme un expert de l’industrie. Même si le géant de Boston ne gagne pas ou peu d’argent avec ces véhicules, il souhaite attirer les clients vers le reste de son offre. En outre, il peut trouver d’autres façons indirectes de se rémunérer en louant les actions détenues dans les fonds à des «short sellers», ces investisseurs qui parient sur la baisse d’un titre.
Appelée «securities lending», cette pratique même massive ne devrait pas avoir d’impact sur la stratégie ou la performance du fonds. «En effet, l’investisseur est toujours le propriétaire des actions, estime Detlef Glow. Cela dit, louer des actions revient à permettre à un autre investisseur de les vendre à découvert et donc de spéculer contre votre stratégie. Si l’emprunteur a raison, le cours des titres baisse, ainsi que la valeur du fonds. Ce n’est pas une très bonne affaire.»
«Il n’y aura aucune conséquence sur le marché des fonds» DETLEF GLOW, LIPPER
Selon le responsable de la recherche de Lipper, le recours au «securities lending» ajoute aussi une couche supplémentaire de risque, celui de défaut de l’emprunteur. Certains acteurs offrent une garantie plus ou moins explicite en cas de défaut, d’autres placent du collatéral pour les titres qu’ils prêtent, «mais ce collatéral n’est pas souvent de bonne qualité», précise le spécialiste.
La question du partage des revenus de la location des actions peut aussi poser problème, conclut Detlef Glow: «Dans la plupart des pays européens, ces revenus sont partagés entre le gérant du fonds et les investisseurs, alors que ces derniers supportent la majorité du risque. L’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) a voulu changer cette situation, en faisant en sorte que le revenu net soit attribué aux investisseurs du fonds. Mais certaines entreprises ont trouvé des parades pour contourner cette exigence.»