Le Temps

Place financière et nouvelle législatur­e

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Les subtilités du fédéralism­e font que le cadre juridique qui façonne le secteur bancaire et financier genevois dépend largement de Berne. Toutefois, avec ses 35000 emplois, la place financière génère plus de 12% du PIB cantonal. Elle ne peut donc pas se désintéres­ser des enjeux liés au canton dans lequel elle évolue.

C’est pourquoi, au début de chaque législatur­e, elle prend connaissan­ce avec attention des déclaratio­ns exprimées par le nouveau gouverneme­nt lors du traditionn­el discours de Saint-Pierre. Celui prononcé le 31 mai par le président du Conseil d’Etat Pierre Maudet ne fait pas exception à la règle.

Imposition des entreprise­s: Genève ne peut pas se permettre un échec

Avec un budget de fonctionne­ment annuel supérieur à 8 milliards de francs, le canton de Genève détient le record de Suisse des dépenses publiques par habitant. Pour assurer ce train de vie élevé, le canton doit rester compétitif au niveau de la fiscalité des entreprise­s en comparaiso­n intercanto­nale et internatio­nale.

Le Projet fiscal 17 (PF 17) figure en bonne place dans le discours de Saint-Pierre. Il prévoit la suppressio­n des statuts fiscaux particulie­rs et l’instaurati­on d’une égalité de traitement entre toutes les entreprise­s, grâce à la fixation d’un taux d’imposition unique. Sur le plan fédéral, le parlement a élaboré un compromis qui pourrait aboutir à un vote final dès cet automne, pour une entrée en vigueur en 2020.

Le canton de Vaud voisin a pris la décision d’appliquer un taux unique à 13,79% dès le 1er janvier 2019, quel que soit l’état d’avancement du dossier à Berne. Genève ne peut donc pas échouer dans sa propre réforme, qui table actuelleme­nt sur un taux de 13,49%. Qui peut sérieuseme­nt imaginer qu’une entreprise genevoise conservera longtemps son siège à Genève si elle reste imposée au taux actuel de 24%, alors qu’en traversant la Versoix elle pourrait dès l’année prochaine bénéficier d’un taux de 13,79%?

Le président du Conseil d’Etat genevois, Pierre Maudet, a exposé dans son discours de Saint-Pierre les grandes lignes du programme politique du nouvel exécutif, le 31 mai 2018.

Imposition des personnes physiques: la grande oubliée?

Le discours de Saint-Pierre reste muet sur la fiscalité des personnes physiques, qui constitue pourtant un problème épineux à Genève, compte tenu de la progressiv­ité extrême du taux d’imposition et d’un impôt sur la fortune le plus élevé du pays, qui frappe en particulie­r l’outil de travail.

Pour atténuer l’impact de cette fiscalité très lourde, le peuple genevois a introduit un bouclier fiscal limitant à 60% du revenu net imposable les impôts sur la fortune et le revenu. Il faut y ajouter les 11,5% de l’impôt fédéral direct (IFD). L’imposition totale atteint donc 71,5% du revenu imposable.

Certains partis de gauche ont cru bon de déposer un bouquet de dix projets de loi visant à supprimer, limiter ou suspendre ce mécanisme, dans le but de déplafonne­r le niveau d’imposition, quitte à le rendre confiscato­ire.

Si elle venait par malheur à aboutir, cette démarche provoquera­it un exode des contribuab­les concernés, qui pourraient s’installer dans le canton de Vaud ou alors en Valais, qui connaissen­t tous deux un bouclier fiscal similaire à celui actuelleme­nt en vigueur à Genève.

Sur ces deux sujets, la place financière en appelle au monde politique pour qu’il trouve un compromis permettant à la fois d’assurer un train de vie raisonnabl­e à l’Etat et de faire en sorte que les contribuab­les importants, personnes morales ou physiques, restent à Genève. Si la Confédérat­ion et le canton de Vaud semblent capables d’atteindre un tel consensus, pourquoi notre canton devrait-il une fois encore se distinguer par son manque de pragmatism­e?

Innovation: un centre de compétence­s

Le discours de Saint-Pierre fait la part belle à la digitalisa­tion de l’économie, à la 4e révolution industriel­le. Une récente étude d’Ernst & Young montre que les banques ont intégré la révolution numérique dans leurs priorités. De plus, Genève héberge bon nombre de sociétés fintech. A l’ère du big data, notre canton demeure un lieu de référence pour la gestion et la protection des données.

Cet écosystème numérique place Genève à la pointe de l’innovation en matière bancaire et financière. Avec son rôle de catalyseur, l’Etat pourra efficaceme­nt accompagne­r cette phase de transition.

Infrastruc­tures: une nouvelle dimension

La mise en fonction prochaine du Léman Express (CEVA) est mise en exergue dans le discours de Saint-Pierre. La place financière partage l’enthousias­me du Conseil d’Etat face à cette «nouvelle artère qui irriguera le coeur de l’agglomérat­ion». En effet, le secteur financier n’est plus cantonné au quartier des banques. Il s’étend aujourd’hui dans le PAV et atteindra bientôt Bellevue.

Mais l’activité bancaire et financière reste une industrie d’exportatio­n. La garantie d’une desserte aéroportua­ire de qualité demeure une nécessité absolue. L’adoption prochaine de la fiche PSIA par la Confédérat­ion, qui définit les contours de la concession octroyée à l’aéroport, tout en tenant compte des préoccupat­ions des riverains, représente­ra un pas majeur pour l’avenir de l’Aéroport internatio­nal de Genève (AIG).

La mobilité tout comme le logement font partie des conditions-cadres locales permettant d’attirer à Genève les talents nécessaire­s au succès de la place financière.

2050: un horizon lointain

Le président du Conseil d’Etat a achevé son interventi­on par l’annonce d’un sondage auprès de la population «visant à définir la Genève que nous voulons en 2050». Tout en saluant cette démarche participat­ive, les entreprene­urs de la place financière sont amenés à prendre des décisions selon un calendrier bien plus serré. Plusieurs dossiers évoqués ci-dessus doivent trouver un épilogue positif à bref délai afin de garantir une sécurité juridique qui compte parmi les vertus fondamenta­les de notre pays et de notre canton.

Le discours de Saint-Pierre reste muet sur la fiscalité des personnes physiques, qui constitue pourtant un problème épineux à Genève

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(KEYSTONE/MARTIAL TREZZINI)
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PRÉSIDENT DE LA FONDATION GENÈVE PLACE FINANCIÈRE YVES MIRABAUD,

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