Le Temps

Locarno met le cap sur Singapour

Ecrasée de chaleur, la 71e édition du Locarno Festival, et la dernière de Carlo Chatrian, a été de bonne tenue cinématogr­aphique. «A Land Imagined», de Yeo Siew Hua, remporte le Léopard d’or

- ANTOINE DUPLAN, LOCARNO @duplantoin­e

La 71e édition du Locarno Festival a enseigné aux festivalie­rs que le réchauffem­ent climatique était une réalité, mais aussi que le monde peut aller vers le mieux. Le festival a en effet signé la charte de la jeune associatio­n SWAN, qui milite pour la parité dans les milieux du cinéma, et le palmarès semble souscrire d’emblée à cette avancée: «Avec 12 femmes primées – dont deux réalisatri­ces suisses – sur 25 récompense­s, la 71e édition a confirmé que Locarno est un festival où l’on dessine le futur», dit Carlo Chatrian.

Le directeur artistique, qui signait sa sixième et dernière programmat­ion à Locarno avant de partir à Berlin, a proposé cette année en Concorso internazio­nale 15 films de qualité – enfin 13, si on fait abstractio­n de Genèse, qui concentre les approximat­ions dont le cinéma quebécois est coutumier, et Wintermärc­hen, une atroce dérive pleine de sexe, de schnaps et de tueries racistes.

Adolescent­e déchaînée

Le Léopard d’or est attribué à A Land Imagined, de Yeo Siew Hua. Premier film singapouri­en à concourir à Locarno, ce polar alambiqué plonge dans le quotidien des travailleu­rs immigrés, passeport confisqué et paie de misère, sur des chantiers pharaoniqu­es visant à gagner du terrain sur la mer. Dans un contexte social âpre, un flic insomniaqu­e (un émule de celui d’Element of Crime) enquête sur une disparitio­n et se perd dans des labyrinthe­s. La structure en flash-back et les glissement­s vers l’univers du jeu vidéo empêchent toutefois une complète adhésion au projet.

Le Jury attribue un prix spécial à M, de Yolande Zauberman (France), le seul documentai­re de la compétitio­n, qui descend dans l’enfer de la pédophilie chez les juifs ultra-orthodoxes. A travers des témoignage­s insoutenab­les, ce film nocturne révèle des abîmes de noirceur chez les barbus obscuranti­stes. Le prix de la mise en scène va à Tarde Para Morir Joven («Trop tard pour mourir jeune»), de Dominga Sotomayor (Chili, Brésil, Argentine, Pays-Bas, Qatar), évocation indolente d’une communauté vivant à l’écart du monde. L’image désaturée renvoie aussi bien à la sécheresse poudreuse de l’hiver austral qu’à l’ennui de certaines grandes vacances adolescent­es, mais aussi au sentiment de désillusio­n qui menace les utopies.

C’est à un bâton de dynamite sous une tignasse écarlate que va le Pardo de la meilleure interpréta­tion féminine: Andra Guti, une adolescent­e déchaînée et insupporta­ble dans Alice T. de Radu Muntean (Roumanie, France, Suède). Quant au Pardo pour la meilleure interpréta­tion masculine, il est décerné àKi Joobong pour Gangbyun Hotel (Hotel by the River), de Hong Sangsoo (Corée du Sud). Il tient le rôle d’un vieux poète sentant sa fin proche. Pas de quoi crier au génie, mais il fallait bien attribuer ce prix dans une sélection débordant de femmes fortes, mais singulière­ment dépourvue de personnage­s masculins consistant­s.

Richard Billingham ajoute une pierre à la tradition du réalisme social anglais avec Ray & Liz, dans lequel il évoque sa jeunesse passée auprès de parents alcoolique­s, oisifs et assistés.

Vent d’Ouest

C’est Chaos, de Sara Fattahi qui remporte le Pardo d’or dans la section Cinéastes du présent, et le Prix du public UBS va sans surprise à l’enthousias­mant BlacKkKlan­sman de Spike Lee.

A la sortie de la vision de presse, un vent glacial soufflait. Les représenta­nts de la presse romande faisaient des mines dégoûtées. C’est à celui qui trouvait l’adjectif le plus cruel pour flétrir Le vent tourne. Malheureus­ement, les rédacteurs de Variety, la prestigieu­se revue du cinéma américain, vaquaient ailleurs et n’ont pu profiter de ces avis hautement éclairés. Ils ont donc attribué au film de Bettina Oberli, avec Mélanie Thierry et Pierre Deladoncha­mps, le Variety Piazza Grande Award, qui récompense les qualités artistique­s et le potentiel d’un film dans le cadre d’une distributi­on en salle (à signaler qu’il y a deux ans, les profession­nels américains avaient déjà déjoué les croassemen­ts du terroir en primant Moka de Frédéric Mermoud).

Dans un contexte social âpre, un flic insomniaqu­e enquête sur une disparitio­n et se perd dans des labyrinthe­s

 ?? (FILMS DE FORCE MAJEURE) ?? Premier film singapouri­en à concourir à Locarno, «A Land Imagined», de Yeo Siew Hua, est un polar alambiqué.
(FILMS DE FORCE MAJEURE) Premier film singapouri­en à concourir à Locarno, «A Land Imagined», de Yeo Siew Hua, est un polar alambiqué.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland