RETOUR SUR 68
Lise Girardin, première maire de Genève
Son élection avait secoué la République. C’était une femme d’envergure, qui savait ce qu’elle voulait», avait dit Jacqueline Burnand, la deuxième maire de Genève, lors de la mort de celle qui en avait été la première, la radicale Lise Girardin (1921-2010). Pionnière au conseil administratif de la ville de Genève et maire en cette année «révolutionnaire» de 1968 – puis en 1972 et en 1975 –, elle sera en effet la première Suissesse à occuper une telle fonction.
Elle deviendra également la première femme à être élue au Conseil des Etats (1971-1979). Mais elle n’était pas du genre à se livrer à une guerre des sexes. Pragmatique, elle a beaucoup travaillé à la décriminalisation de l’avortement et s’est s’engagée publiquement pour le développement du congé maternité.
En attendant, elle dirige donc l’exécutif municipal depuis le 31 mai, et le
Journal de Genève du 13 août spécifie que son prédécesseur lui avait, comme de coutume en pareil cas, remis «une belle écharpe de soie noire, qui se noue à la ceinture, avec deux longs pans, frangés de rouge et de jaune, tombant jusqu’à mi-mollets, ou presque, insigne du premier magistrat de la cité, de ce
primus inter pares qu’est le maire». «Primus», le maire: si l’élection de Lise Girardin représente une singulière avancée dans les moeurs politiques de ce pays et place Genève à l’avant-garde de la cause des femmes à la fin de ce printemps où elles ont joué un rôle important dans les révoltes de Mai, on est cependant encore bien loin d’une féminisation du vocabulaire.
Les conseils du «Journal»
Mais on n’a encore rien lu. Car le récit qui suit montre aussi une vision
légèrement genrée de cet attribut symbolique du pouvoir que représente l’écharpe. En possession de cette étoffe «qui n’avait pas été conçue pour une femme, mais pour un homme, raconte l’article, Mme Lise Girardin se demanda ce qu’elle en allait bien faire. Sagement, elle décida de la laisser dans un tiroir […]. Provisoirement, tout au moins. Car elle est difficile à porter. Il faut être habillé d’uni, en noir ou en blanc, de préférence, pour qu’elle aille. En tout cas pas d’une étoffe fleurie ou portant des motifs de différentes couleurs. Ce ne serait pas beau, on en conviendra.»
Seulement voilà, une maire, ça peut aussi célébrer des mariages de temps à autre. Alors écoutez bien les conseils du Journal pour surmonter l’épreuve – en pleine révolution des moeurs, et cum grano
salis. On ignore s’ils viennent d’un rédacteur ou d’une rédactrice, «mais après tout, puisque l’on a maintenant la chance d’avoir un maire du beau sexe, pourquoi ne lui confectionnerait-on pas un insigne mieux adapté à sa féminité»?
Et ce serait quoi, alors? «Un noeud de soie noire, frangé de rouge et de jaune, de dimension modeste sans être toutefois trop discret, qui pourrait s’épingler au corsage, ou une écharpe, une vraie, qui se porterait en bandoulière, passant sur une épaule, avec pans et franges retombant sur la hanche opposée.» Remarque au passage: «Ce serait tout aussi démocratique.» [Sic.]
Ces lignes montrent bien à quel point la société de 1968 est encore sclérosée dans sa vision des deux genres. «Un maire du beau sexe»! Mais le plus cocasse, dans toute cette histoire, c’est que la plume qui signe ces mots d’il y a cinquante ans pencherait pour la «solution» du noeud. Et pourquoi cela? Parce que «cela ne risquerait pas en tout cas de mettre en péril l’équilibre des finances municipales»!