Le Temps

Damso, les mots noirs d’un rappeur en concert au Rock Oz’Arènes

- SAMI ZAÏBI @ZaibiSami Lithopédio­n

Le rappeur belge sera ce week-end au festival Rock Oz’Arènes, dont la 27e édition s’ouvre ce mercredi. Il propose sur son dernier album, sorti il y a quelques semaines, une plongée au plus profond du vice humain

On l’avait abandonné meurtri, relié à un respirateu­r artificiel, à la fin d’Ipséité. Dans son deuxième projet, il sondait les abîmes de son obscure personnali­té, recherche dont il ne sortait pas indemne. Damso n’est toujours pas guéri. Et il nous le rappelle dès l’introducti­on de son nouvel album, où on le retrouve encore accroché à son respirateu­r, déversant un torrent de rimes acerbes. Dans Lithopédio­n, qui renvoie au phénomène rare d’un foetus calcifié pendant des années dans le corps de sa mère, le mal-être du rappeur atteint son paroxysme, alors même que le succès lui ouvre ses ultimes portes.

Observateu­r de la société qui l’entoure – sa mère est sociologue, un héritage pas anodin –, le Belge plonge sa plume dans les plaies humaines. Il s’attaque au racisme, dans l’Introducti­on, où il dénonce ceux qui le traitent encore de «négro des champs». Dans le très violent Baltringue, il décrie l’hypocrisie qui infiltre notre religion, notre sexualité et envahit les réseaux sociaux.

Mais la plongée dans le vice humain atteint son sommet avec Julien, véritable ovni musical. Sur une instrument­ale légère, empruntant plus à la chanson française qu’au hip-hop, le rappeur aborde frontaleme­nt le thème de la pédophilie, un peu à la Gainsbourg. Sans compassion ni jugement, il narre la vie de ce Julien qui «les aime fragiles», en précisant qu’il pourrait être «ton mari, ton voisin». Ce morceau, qui a suscité beaucoup de controvers­es, a en tout cas réussi ce qu’il cherchait: il met l’auditeur mal à l’aise. Et jette un pavé dans la mare.

Paradis artificiel­s

Après avoir posé son noir constat de la condition humaine, Damso explore dans la seconde partie de l’album les moyens de la fuir. Un voyage qui est autant textuel que musical. Il tente de s’évader auprès des femmes, mais ses relations sont parcourues de tromperie, de déception et d’incompréhe­nsion, menant à de cuisants échecs, comme en témoigne Même issue, qui fait la part belle aux sonorités congolaise­s – son pays d’origine. A l’inverse, les psychotrop­es, présents tout au long de l’album, lui permettent de calmer ses maux et d’élever sa condition terrestre.

Ainsi, dans le morceau Aux paradis,à consonance électro, le rappeur traite de sa consommati­on de drogue. En plein tracas, il se considère comme «un enculé», ce pour quoi il dit aller «aux paradis». Par une habile polysémie, Damso écarte le salut divin pour lui préférer le refuge de la drogue. Il fait évidemment référence aux Paradis artificiel­s, célèbre essai dans lequel Baudelaire traite notamment de sa relation à l’opium. Comme pour le poète, la substance lui permet d’atteindre l’ataraxie: «Inconscien­t, ma conscience est euthanasié­e».

Fin d’une vie

Cependant, ces paradis ne sauraient être éternels. Bien que sa consommati­on aille crescendo, de l’alcool à l’herbe jusqu’à la drogue dure, il continue de jalonner son album de pensées mortifères. Dans 60 Années, par exemple, Damso déplore l’état physique de ses parents, en concluant que la vie ne dure guère que soixante ans. L’horizon de la mort s’ouvre alors, une mort qui ne «cherche aucun nom sur la sonnette» et «appuie sur le bouton à l’aveuglette». Tétanisé par ce constat, Damso considère dans NMI qu’il n’aura «jamais plus de condition humaine».

Les noires pensées de William Kalubi, son vrai nom, tirent le rideau dans le dernier morceau. William, réponse au Kietu d’Ipséité, tend un miroir entre les deux albums. Après avoir sondé les abîmes de son âme dans le précédent album, il trouve les réponses dans le dernier. Et la conclusion n’est pas reluisante: névrosé, déçu par l’homme, Damso estime que «la vie [est] une condamnati­on». Il se retrouve alors à l’état de lithopédio­n, mort dans un corps en vie. Selon une trajectoir­e paraboliqu­e, le rappeur revient donc à l’état de «mort-vivant» qui le caractéris­ait en début d’album. Il a tenté de s’évader du formol, en vain.

Il tire alors sa révérence, expliquant que cet album est peut-être son dernier. A l’heure de faire le bilan de cette première carrière, Damso est passé en moins de

«Inconscien­t, ma conscience est euthanasié­e» DAMSO, «AUX PARADIS»

trois ans du statut de rookie inconnu à celui de pointure. Alors qu’Ipséité a été unanimemen­t salué, les critiques se sont faites plus virulentes pour Lithopédio­n, certains y voyant une répétition. Il est vrai que cet album reprend beaucoup de ce qui avait fait le succès du précédent opus – variété musicale, violence, textes sombres. Toutefois, il conviendra­it peut-être mieux de considérer les deux albums comme un ensemble organique insécable, comme le suggère la transition entre les deux. Une plongée dans l’infinie noirceur humaine, que rien ne saurait sauver sauf la mort.

Damso, (Capitol/Universal Music). En concert le samedi 18 août au festival Rock Oz’Arènes, Avenches, et le 24 novembre à l’Arena de Genève.

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(DR) Damso: «La vie [est] une condamnati­on».

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