A Hongkong, les sociétés écrans pullulent et alimentent tous les trafics
«Il est incroyablement facile de créer une entreprise ici. Dans la rue, des vieux messieurs distribuent des flyers proposant de le faire pour 500 dollars hongkongais (63 francs)»
DAVID S. LEE, PROFESSEUR DE DROIT À L’UNIVERSITÉ DE HONGKONG
Dans la cité portuaire, de nombreuses entreprises se sont spécialisées dans la création de sociétés écrans. La Corée du Nord s’en sert pour contourner les sanctions à son encontre. Le Hezbollah et l’Iran aussi
Le 24 février, vers minuit, le Xin Yuan 18, un navire enregistré aux Maldives, s’est amarré le long du tanker nord-coréen Chon Ma San, au large de la Chine. La manoeuvre avait pour but de transférer du pétrole entre les deux bateaux, afin d’alimenter le régime de Pyongyang en or noir, en contravention avec les sanctions de l’ONU.
Le Xin Yuan 18 appartient à Ha Fa Trade International, une société incorporée en 2016 à Hongkong. Elle est domiciliée au 23e étage du Lucky Plaza, une tour qui a vu de meilleurs jours dans une rue remplie de vendeurs de robinets. A cette adresse, on trouve une pièce éclairée au néon remplie de classeurs. Elle est occupée par Yirenjiaren Registration Secretary, l’une des nombreuses firmes hongkongaises qui se sont spécialisées dans la création et l’hébergement de sociétés écrans.
«Ha Fa Trade est bien l’un de nos clients mais le directeur est domicilié en Chine», glisse l’unique employée en inscrivant sur un morceau de papier le numéro de portable de Tang Yun Hui, le directeur de la société. Il ne décrochera pas.
Un carrefour mondial des boîtes aux lettres
Hongkong est un hub mondial pour les sociétés boîtes aux lettres. Sur les six premiers mois de l’année, 85449 entreprises ont été incorporées dans la cité portuaire. «Il est incroyablement facile de créer une entreprise ici, relève David S. Lee, un professeur de droit à l’Université de Hongkong. Dans la rue, des vieux messieurs distribuent des flyers proposant de le faire pour 500 dollars hongkongais (63 francs). Ils vont vous emmener dans leur bureau, activer l’une des nombreuses sociétés dormantes qu’ils ont en stock et vous nommer directeur.»
Pour ceux qui souhaitent le faire à distance, il suffit de remplir un formulaire en ligne, de désigner un directeur – qui doit être une personne physique – et de fournir une copie de son passeport. «Cela prend moins d’une semaine et il n’y a pas de capital minimum requis», précise Laurent Liotard-Vogt, un partenaire dans l’antenne hongkongaise du cabinet Chappuis Halder & Co.
Pour assister ces créateurs d’entreprises, il existe un vaste écosystème de sociétés qui, à l’image de Yirenjiaren Registration Secretary, «s’occupent de tout: incorporer la firme, lui ouvrir un compte bancaire, recueillir son courrier», note l’expert. Depuis mars, le bénéficiaire réel de la société doit figurer sur les documents d’incorporation, mais seules les autorités hongkongaises ont accès à cette information.
Sans surprise, les sociétés domiciliées à Hongkong sont liées à toutes sortes d’activités illicites. L’an dernier, 92115 transactions financières suspectes ont été rapportées dans la ville. A titre de comparaison, la Suisse en a enregistré 4684 en 2017.
La Corée du Nord a fait de Hongkong sa base pour contourner les sanctions décrétées à son encontre. L’ONG américaine C4ADS a repéré 160 entreprises liées au régime ermite dans la cité portuaire.
Comptes bancaires et navires pour Pyongyang
Certaines servent de compte bancaire à Pyongyang. C’est le cas des 17 sociétés domiciliées à Hongkong appartenant à la société chinoise Dandong Hongxiang Industrial Development (DHID). Ces cinq dernières années, cellec-ci a permis au régime de vendre et d’acheter pour 500 millions de dollars de biens, dont des pièces électroniques ayant servi à développer son arsenal nucléaire. L’argent transitait par les comptes bancaires au nom de DHID en Chine et en Corée du Nord.
Autre phénomène, «de nombreuses sociétés écrans domiciliées à Hongkong détiennent des navires pour le compte de la Corée du Nord», indique David S. Lee. C’est le cas de Ha Fa Trade International, mais aussi de Huaxin Shipping, Chang An Shipping, Hongxiang Marine, Liberty Shipping ou encore Shen Zhong International Shipping, qui figurent toutes sur une liste noire dressée par les Nations unies en mars.
Elles se servent de ces navires pour exporter du charbon, du fer et des armes depuis la Corée du Nord ou pour fournir du pétrole au régime. Huaxin Shipping et Chang An Shipping ont par exemple vendu du charbon nord-coréen au Vietnam en octobre dernier.
Matériel pour le Hezbollah
Mais il n’y a pas que la Corée du Nord. La firme Unique Stars International occupe le 12e étage d’une tour dans le quartier de Mong Kok. Elle appartient au Libanais Issam Amhaz, révèle C4ADS. Celui-ci possède une entreprise appelée Stars Group Holding à Beyrouth, qui a vendu du matériel au Hezbollah ayant servi à fabriquer des drones déployés en Syrie.
Anhui Land Group, une autre société hongkongaise radiée du registre du commerce en 2016, a pour sa part fourni des fibres de polyacrylonitrile à l’homme d’affaires iranien Hossein Pournaghshband, sous sanctions des Etats-Unis. Ce matériel a servi à alimenter le programme nucléaire de Téhéran.