Le Temps

Le virus Ebola frappe une zone de conflits armés en RDC

Pour la première fois, le virus sévit dans une zone de conflits armés de la République démocratiq­ue du Congo. De quoi compliquer encore plus la tâche des ONG sur le terrain, comme l’explique Gwenola Seroux, de Médecins sans frontières

- PROPOS RECUEILLIS PAR FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Gwenola Seroux est responsabl­e de la cellule des urgences de Médecins sans frontières. Avant de s’envoler le 14 août pour la République démocratiq­ue du Congo (RDC), elle fait le point sur la nouvelle épidémie qui frappe le pays.

Quelle est la situation actuelle visà-vis de l’épidémie de maladie à virus Ebola qui sévit actuelleme­nt dans le nord de la RDC? Officielle­ment déclarée le 1er août par le Ministère de la santé de la RDC, l’épidémie a progressé ces dernières semaines. Elle concerne la province du Nord-Kivu, l’une des plus peuplées du pays. L’épicentre de l’épidémie se situe sur le territoire de la ville de Beni, zone de santé de Mabalako, et en particulie­r dans la localité de Mangina, au nord de la province. C’est une zone frontalièr­e proche du Rwanda, de l’Ouganda, et de la province d’Ituri.

Cet épisode ressemble-t-il à la dernière flambée épidémique, officielle­ment déclarée terminée le 30 juillet? Non, la situation est fort différente. L’avant-dernière épidémie en date a eu lieu dans la province de l’Equateur, à l’ouest du pays. Il s’agissait certes d’une zone très difficile d’accès, mais celle-ci était politiquem­ent stable. C’est tout l’inverse dans le NordKivu: bien que les axes de circulatio­n soient la plupart du temps praticable­s, la province est en proie à des conflits, plus particuliè­rement la ville de Beni, dont la région est d’ailleurs sous contrôle militaire.

Comment les ONG peuvent-elles travailler dans ces conditions? Pour ce qui concerne MSF, nous connaisson­s bien la région pour avoir établi des programmes réguliers depuis une dizaine d’années dans le sud de la province, entre Beni et Goma. Mais depuis un an environ, la situation s’est détériorée. Nos mouvements sont beaucoup plus contrôlés, les accès de plus en plus réduits, à tel point que nos équipes se déplacent désormais en hélicoptèr­e, ce qui était inimaginab­le auparavant. Forces officielle­s, milices de village et autres groupes rebelles armés se partagent divers territoire­s qu’on ne peut traverser en sécurité qu’une fois des garanties obtenues auprès des différents leaders. C’est un contexte exceptionn­el car c’est la première fois qu’une épidémie de maladie à virus Ebola surgit dans une zone de conflits.

Qu’a pu faire MSF, compte tenu de la situation? Nos équipes sur place se sont rendues à Mangina et ont mis l’accent sur l’isolation des malades. Ils ont ensuite mis sur pied un centre de traitement Ebola, qui a ouvert mardi 14 août. Dimanche, 45 patients étaient hospitalis­és à Mangina, sept cas avaient été confirmés et, malheureus­ement, un membre du personnel de santé, étudiant en soins infirmiers, est décédé. Avec ce centre de soins, nous sommes désormais dans de meilleures conditions pour la prise en charge des patients.

Ensuite, d’autres équipes de MSF vont s’assurer de la sécurisati­on de ces centres pour pouvoir y amener le matériel de protection, de quoi assurer la formation du personnel soignant et le triage des patients. Dans cette région sévit en effet le paludisme, première cause de consultati­on, et dont les symptômes de fièvre ressemblen­t à ceux d’Ebola.

Le vaccin VSV-EBOV, utilisé en juillet lors de la précédente épidémie, sera-t-il cette fois déployé? Oui, mais le volet vaccinatio­n, démarré jeudi dernier, est sous l’égide de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) et non de MSF. Cela dit, nos équipes de MSF Suisse présentes dans la province d’Ituri, juste au nord de Beni, vont assurer une partie des vaccinatio­ns. Nous sommes en négociatio­n avec l’OMS pour l’appuyer dans un deuxième temps, ce qui prend du temps car ce vaccin reste expériment­al et impose de suivre un protocole bien précis.

A-t-on une idée de l’origine de l’épidémie actuelle? C’est toujours difficile à dire mais elle semble avoir démarré tôt, début mai, soit en même temps que celle qui a sévi dans la province de l’Equateur même si les deux virus, de souche identique, sont bien différents.

Pourquoi la déclarer en août, soit quatre mois plus tard? En RDC, la remontée des informatio­ns du terrain jusqu’à la capitale Kinshasa est un défi permanent. En mai, les regards étaient braqués vers la province de l’Equateur, et une certaine part du personnel de santé du Nord-Kivu était en grève depuis plusieurs mois. Tout était donc réuni pour que les premiers cas suspects de cette nouvelle épidémie échappent à la surveillan­ce sanitaire.

Etes-vous optimiste quant à la situation? Cette épidémie est beaucoup plus compliquée que prévu, on ne sait pas comment elle peut évoluer. Le pic de cas a-t-il été atteint, ou le pire reste-t-il à venir? Mais surtout, les conflits armés handicapen­t lourdement les actions de MSF et des autres ONG. Il y a de quoi être inquiet.

«L’épidémie a progressé ces dernières semaines»

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(SAMUEL MAMBO/REUTERS) Un véhicule de MSF dans les rues de Beni, le 2 août dernier.
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GWENOLA SEROUXRESP­ONSABLE DE LA CELLULE DES URGENCES DE MSF

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