Cacophonie à la suisse
Quelque chose ne tourne plus rond dans la mécanique bien huilée du consensus helvétique. La paralysie qui grippe cet été la politique européenne en offre l’illustration, avec un ministre de l’Economie au bout du rouleau, un chef de la diplomatie aux sorties peu maîtrisées, des syndicats caractériels et partisans. Mais le problème va au-delà de ce casting peu réussi.
Car ailleurs, la même paralysie se manifeste. Enlisée depuis des années, la réforme de la fiscalité des entreprises ne s’est débloquée que par l’adjonction baroque d’un volet sur l’AVS, qui repousse aux calendes grecques toute vraie réforme des retraites. Le sort de ce monstre à deux têtes reste incertain. Et où que l’on regarde – du numérique à l’agriculture –, l’agenda de modernisation de la Suisse semble au point mort.
Pourquoi? Comme l’ont noté des commentateurs alémaniques, l’obstructionnisme de l’UDC renforce le poids de la gauche. Malgré sa lente érosion électorale, celle-ci dispose d’un veto de fait sur les objets européens – ce qui explique le power play des syndicats dans les négociations avec l’UE. La droite, de son côté, s’est montrée peu subtile. Son écrasante majorité au parlement n’a pas favorisé la recherche de compromis.
La structure même du pouvoir en Suisse accentue le problème. Eparpillé, émietté, il empêche qu’un individu, un parti ou un groupe se retrouve seul aux commandes. Mais si les acteurs ne s’entendent pas, il en résulte cacophonie, palabres sans fin et indécision. Dans de telles situations, le Conseil fédéral joue rarement le rôle de leader. Il se transforme plutôt en gestionnaire de l’immobilisme.
On a pourtant vu, ces dernières années, que la Suisse peut bouger vite et bien lorsqu’il le faut. Les accords bilatéraux et la réforme du marché intérieur ont été négociés en un temps record, le secret bancaire a été aboli sans barguigner, les finances fédérales ont été assainies alors que la dette gonflait. Mais c’était chaque fois sous la menace d’une crise imminente.
Or, depuis une quinzaine d’années, l’économie suisse va très bien. Les pressions internationales sur le paradis fiscal helvétique ne sont plus qu’un souvenir. L’absence de sentiment d’urgence est le pire ennemi d’un nouveau traité européen dont personne ou presque, hors de Bruxelles et de quelques cénacles bernois, ne voit l’utilité.
Si elle analyse correctement la situation, l’UE risque de conclure qu’il lui faut taper beaucoup plus fort du poing sur la table pour que les Suisses se réveillent et concluent enfin ces négociations. Un scénario qui n’est pas souhaitable mais qui, s’il se concrétise, serait le résultat logique de notre inertie.
Où que l’on regarde, l’agenda de modernisation de la Suisse semble au point mort