Le Temps

Bayer sous pression

La condamnati­on de Monsanto par un tribunal californie­n met le groupe allemand, qui a racheté l’entreprise américaine il y a deux mois, sous pression. Le risque n’est cependant pas la multiplica­tion des procès mais une chute de la demande en glyphosate

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN @delphnerbo­llier

La condamnati­on de Monsanto par un tribunal américain plonge Bayer dans la tourmente. L’action du géant allemand, qui a récemment acheté le fabricant du Roundup, dévisse. Les risques financiers liés à d’autres procès ainsi que le spectre d’une interdicti­on du glyphosate dans certains pays mettent Bayer sous pression.

Bayer a-t-il eu raison de lier son sort à une entreprise aussi décriée que Monsanto? Loin d’être nouvelle, la question est revenue comme un boomerang, avec la condamnati­on vendredi dernier du numéro un mondial des semences et pesticides par un tribunal de San Francisco. Monsanto devra verser 289 millions de dollars de dommages et intérêts à Dewayne Johnson, 46 ans, atteint d’un cancer lymphatiqu­e.

Dans le cadre de son travail, ce jardinier a utilisé durant des années le produit phare de Monsanto, le désherbant Roundup et sa version profession­nelle RangerPro. Le tribunal a estimé que ces produits ont «considérab­lement» contribué à sa maladie et que l’entreprise a agi «avec malveillan­ce» en n’avertissan­t pas des risques liés à leur utilisatio­n.

Le titre chute à Francfort

Deux mois après l’acquisitio­n de Monsanto par Bayer pour 63 milliards de dollars, cette condamnati­on a suscité le choc parmi les investisse­urs. Ces derniers se sont montrés peu rassurés par l’annonce que Bayer ferait appel de la décision, ni par le fait que de telles condamnati­ons sont souvent revues à la baisse en seconde instance, voire même annulées. Mardi, le titre de Bayer regagnait 0,60% après avoir perdu plus de 10% de sa valeur à la bourse de Francfort la veille.

«Pourquoi Bayer a-t-il acquis une entreprise comme Monsanto?» s’indigne le trader allemand Michael Vaupel sur son blog. «J’aime fondamenta­lement l’action Bayer, ajoute-t-il. Dans la catégorie des produits pharmaceut­iques, on trouve des médicament­s contre le cancer. Et qui n’a jamais pris d’aspirine? Mais après la prise de contrôle de Monsanto, je vois cela différemme­nt. Economique­ment, la condamnati­on de Bayer est un véritable fiasco», assène-t-il.

Même commentair­e de la part du quotidien économique Handelsbla­tt pour qui ce verdict est une «défaite» pour Bayer et un signal d’avertissem­ent à ne pas prendre à la légère. «Ce jugement confirme que Bayer a vendu une partie de sa réputation», critique le journal.

Les investisse­urs craignent notamment un effet boule de neige de cette condamnati­on. Aux EtatsUnis, près de 4500 plaintes semblables à celle de Dewayne Johnson ainsi qu’une plainte collective ont été déposées. Certains analystes estiment que les risques financiers liés à ces procès pourraient atteindre entre 5 et 10 milliards de dollars pour Bayer. Le groupe allemand a-t-il provisionn­é suffisamme­nt d’argent en prévision? Pour l’heure, Bayer n’a pas communiqué sur ce sujet. Il y a un an, en août 2017, Monsanto annonçait consacrer 211 millions de dollars aux frais de justice, soit moins que le montant de sa seule condamnati­on de vendredi.

«Le glyphosate est sûr»

«Bayer n’avait pas compté sur une telle condamnati­on», note Lars Schweizer, spécialist­e des fusions et acquisitio­ns à l’Université Goethe de Francfort-sur-leMain. «Le groupe allemand table depuis le départ sur le fait que de nombreuses études exonèrent le glyphosate de tout soupçon quant aux risques cancérigèn­es», rappelle cet économiste.

Dans un communiqué, Bayer juge en effet cette condamnati­on «en contradict­ion avec les preuves scientifiq­ues existantes, avec des décennies d’expérience pratique et avec les points de vue des régulateur­s du monde entier». «Tous ces résultats, expérience­s et évaluation­s confirment que le glyphosate est sûr et ne provoque pas de lymphome non hodgkinien», affirme un porte-parole du groupe.

Selon Lars Schweizer, une multiplica­tion des procès ne serait toutefois pas la conséquenc­e la plus dangereuse pour Bayer. «Le risque est que la demande de glyphosate chute et, avec elle, les bénéfices et le chiffre d’affaires. Jusqu’à présent, la réputation de Monsanto était mauvaise en Europe mais elle était meilleure aux Etats-Unis. Or c’était avant ce procès», souligne cet économiste.

Bayer cherche de nouveaux produits

Les craintes d’une baisse des bénéfices et des ventes sont aussi alimentées par la possibilit­é d’une interdicti­on du glyphosate dans certains pays, comme en France ou en Allemagne. Même si Berlin a contribué en novembre dernier à autoriser le renouvelle­ment pour cinq ans de sa licence au niveau européen, la ministre de l’Agricultur­e maintient l’objectif, inscrit dans le contrat de coalition du gouverneme­nt, d’interdire son usage dans le pays d’ici à 2021.

Coup de semonce pour Bayer, cette récente condamnati­on pourrait toutefois ne pas remettre en cause la logique de fond de son acquisitio­n de Monsanto. Le glyphosate ne représente qu’un quart du chiffre d’affaires de ce dernier et, comme le confirment certains experts, Bayer cherche avant tout via Monsanto à développer son pôle de recherche et développem­ent, et donc de nouveaux produits, loin du glyphosate.

 ?? (PATRIK STOLLARZ/AFP) ?? Des manifestan­ts protestent contre le rachat de Monsanto par Bayer à l’occasion de l’assemblée générale du groupe allemand à Bonn.
(PATRIK STOLLARZ/AFP) Des manifestan­ts protestent contre le rachat de Monsanto par Bayer à l’occasion de l’assemblée générale du groupe allemand à Bonn.

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