Le Temps

«Il y a eu probableme­nt une accumulati­on de causes»

- PROPOS RECUEILLIS PAR CATHERINE FRAMMERY @cframmery

Premières pistes d’explicatio­ns avec le professeur Eugen Brühwiler, un spécialist­e des ponts à l’EPFL, après la catastroph­e du pont autoroutie­r de Gênes qui a fait au moins 35 morts ce mardi

Eugen Brühwiler est ingénieur structure, professeur de maintenanc­e et sécurité des ouvrages d'art à l'EPFL. Fatigue des matériaux, usure des structures, réparation et consolidat­ion: il intervient régulièrem­ent comme expert sur les infrastruc­tures autoroutiè­res en Suisse.

Peut-on déjà se faire une idée des causes de l’accident? Il va y avoir plusieurs expertises, sur plusieurs parties du viaduc, qui vont durer des mois. Aujourd'hui on ne peut que spéculer, mais il y a probableme­nt eu une accumulati­on de causes. La durabilité du viaduc de Polcevera a toujours suscité beaucoup de questions, il y a toujours eu beaucoup d'interventi­ons de protection et de réhabilita­tion, et en ce moment même, il y avait des travaux de renforceme­nt de la structure visant la corrosion de l'armature du béton, et cela faisait une charge en plus sur la structure. Ensuite, le pont est resté ouvert pendant ces travaux, le trafic a continué car il s'agit d'une voie de circulatio­n très importante, mais les ouvrages d'art sont comme une personne, quand on leur ouvre le ventre c'est délicat… Enfin il y a eu un orage avec probableme­nt du vent fort, et on sait que les grandes constructi­ons sont plus sollicitée­s par le vent – c'était le truc en trop.

Vous évoquez des critiques anciennes contre le pont, cela signifie-t-il que les autres ouvrages de Riccardo Morandi devraient d’urgence être expertisés? Le nom de Morandi est très connu, et son viaduc de Gênes était extraordin­aire. Ses ouvrages doivent être examinés

INGÉNIEUR STRUCTURE À L’EPFL «Les ouvrages d’art sont comme les personnes. Quand on leur ouvre le ventre, c’est délicat...»

pour maintenanc­e, mais pas plus que les autres. Les opérations de surveillan­ce des «détails constructi­fs» doivent être régulières! D'après les images que j'ai vues, une piste pourrait être l'état des joints de dilatation, des ouvertures dans les dalles, qui doivent s'étirer en cas de fortes températur­es et se rétracter quand il fait plus froid. Ils sont très sensibles au sel de déverglaça­ge, dont on ne savait pas dans les années 1960 qu'il pénétrait le béton et allait accélérer la corrosion en profondeur de l'acier des joints de dilatation. Dans la première phase on ne voit rien, le sel pénètre avec l'eau dans le béton, et quand ensuite il y a des éclats, cela signifie que le processus est déjà bien entamé. Si les joints lâchent, le pont descend. Ce sont ces joints qu'on a renforcés ou remplacés sur le viaduc de Chillon en 2014 et 2015.

La Suisse dispose de nombreux viaducs construits à la même période que le pont de Gênes (1963-1967), faut-il s’inquiéter de leur sécurité? Le béton armé précontrai­nt constitue des structures très durables, très solides, dont on a besoin, on n'aurait pas les moyens de tout changer. La surveillan­ce des détails constructi­fs sur les ponts suisses se fait tous les cinq ans, et la maintenanc­e est très régulière. Les décideurs suisses sont très conscients que cela revient moins cher d'entretenir nos structures régulièrem­ent, ils sont relativeme­nt raisonnabl­es pour accorder les budgets nécessaire­s, et nous intervenon­s au moment opportun, la planificat­ion est solide. A Gênes il y a eu un projet de remplaceme­nt du viaduc mais cela a traîné, les décisions n'ont pas été prises, et pendant ce temps les dommages continuaie­nt, comme un cancer. La maintenanc­e n'est pas qu'une question de budget, c'est aussi une question d'organisati­on.

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EUGEN BRÜHWILER

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