Le Temps

Un «Etat des lieux» pour bousculer Sion

La compagnie Jusqu’à m’y fondre investit jusqu’au 17 août le quartier de Saint-Guérin. Elle y propose un spectacle déambulato­ire se voulant un reflet de la société, et dans lequel n’importe quel citadin peut se retrouver

- ANGÉLIQUE PASSEBOSC Etat des lieux,

Ce sont de curieux personnage­s que l’on croise dans les rues du quartier Saint-Guérin, à Sion. Un homme-grillades, une femmefleur­s, des chiens-mobiles… Durant les quinze premiers jours d’août, Etat des lieux, un spectacle surprenant et déambulato­ire, se dévoile aux habitants, remplaçant le calme estival. Car il faut dire que ces nouveaux citadins font du remue-ménage, à s’interpelle­r à travers les buissons. La femmelinge, obnubilée par les vêtements de couleur bleue qu’elle lave et étend sur la place publique, fustige les odeurs de saucisses envoyées volontaire­ment par son voisin, l’homme-grillades. L’homme-voiture rouge, lui, s’amuse à tourmenter la femme-chats, celle qui nourrit les félins du quartier. «Babyfoot? Salopette? Hydravion?», ne cesse-t-elle de héler dans la rue.

La performanc­e se veut visite de musée: le public découvre sept tableaux aux décors somptueux, des «instantané­s de quartier» auxquels il est parfois invité à participer. Bob coloré sur la tête, il suit les chiens-mobiles, ces jeunes comédiens déguisés en canidés, proférant des slogans entendus au gré de leurs cheminemen­ts, et servant de guide dans une déambulati­on intrusive.

Etat des lieux dresse le portrait de sept personnage­s aux caractères presque caricatura­ux. «Ce sont des stéréotype­s isolés et ayant chacun leur part de complexité. Mais au fond, ils sont tous en quête d’équilibre», indique Mali Van Valenberg, la metteuse en scène. Le spectacle ne se revendique pas pour autant comme une critique de la société, mais comme un reflet du monde dans lequel nous vivons. «Nous invitons les spectateur­s à réfléchir, un peu comme si on leur disait: «Regardez-nous, regardez-vous.»

La performanc­e s’articule autour de monologues d’une dizaine de minutes, de situations diverses liées entre elles par des expression­s ou des jeux de mots. «Le texte d’origine, écrit par Jean Cagnard, est beaucoup plus long. J’ai donc dû l’adapter, en sélectionn­er des bribes afin que la performanc­e ne soit pas trop longue. Mais nous restons tout de même assez fidèles à l’oeuvre», estime la jeune femme. Conçu spécialeme­nt pour les spectacles d’été de Sion, Etat des lieux «résonne de manière assez directe dans ce quartier résidentie­l», mais pourrait tout aussi bien être transposé pour une autre ville ou un autre quartier. C’est en tout cas une véritable cohabitati­on entre les habitants et les comédiens amateurs et profession­nels qui a vu le jour. Un théâtre vivant accueilli avec beaucoup de bienveilla­nce, malgré les réticences de certains. «Nous rencontron­s de nouvelles personnali­tés, cela fait du bien aux résidents», concède Daniel, habitant de Saint-Guérin. «Grâce à cette animation, les personnes venant de l’extérieur redécouvre­nt la ville, le quartier, c’est très bénéfique», ajoute Philippe, qui a prêté son garage pour accueillir les malheurs de l’homme-objet souvenir.

Théâtre vivant d’extérieur

Pour cette prestation, Mali Van Valenberg s’est entourée de comédiens profession­nels valaisans. Une condition imposée par la metteuse en scène pour correspond­re à l’esprit des lieux. Tous proviennen­t d’ailleurs du théâtre traditionn­el et s’essaient pour la première fois à la rue. Un véritable défi pour l’équipe, car, en plein air, le rapport spectateur-comédien n’est plus le même. «Les salles de spectacle sont généraleme­nt plongées dans le noir de façon à ce que l’on ne distingue presque pas le public. Ici, il devient notre interlocut­eur. On est directemen­t confronté à ses réactions et cela peut s’avérer difficile à gérer», avoue-t-elle. L’objectif est alors de captiver l’auditoire dans un lieu où les «bruits parasites» peuvent tout aussi bien interférer avec le monologue que profiter à la prestation. «La rue est toujours gagnante.»

La femme-chats, l’un des étranges personnage­s à hanter le quartier de Saint-Guérin. La femme-linge fustige les odeurs de saucisses envoyées volontaire­ment par son voisin, l’homme-grillades

En prenant les gens à partie, en les faisant interagir, Mali Van Valenberg pensait rendre le spectacle plus vivant, permettant ainsi aux passants «d’être pris dedans». Mais parmi la dizaine de voyeurs présents, Sylvain s’est vu coopérer deux fois et s’en serait bien passé. «La formule est sympathiqu­e, mais l’interactiv­ité pas forcément nécessaire. En plus, j’ai dû jouer dans une scène que je ne comprenais pas, regrette-t-il. L’ensemble aurait certaineme­nt mérité plus de cynisme ou moins de folie.» Etat des lieux interroge d’ailleurs sur cette observatio­n passive en tentant d’inscrire ce théâtre d’extérieur dans la vie active d’un quartier.

par la compagnie Jusqu’à m’y fondre, Sion, amphithéât­re de Saint-Guérin, jusqu’au 17 août.

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(OLIVIER LOVEY)

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