Le Temps

RETOUR SUR 68

L’atoll du Pacifique, dès la fin des années 1960, est le théâtre des essais des bombes A et H. Paris est en train de rejoindre la petite famille des nations dotées de la puissance nucléaire

- OLIVIER PERRIN t @olivierper­rin Demain: Jo Siffert, le pilote qui voulait dépasser «les vieilles limites»

La Polynésie française, cible des essais atomiques français

Mururoa est un atoll de l’archipel des Tuamotu, situé en Polynésie française. Celui-ci a servi – comme un autre site de l’océan Pacifique, l’atoll de Fangataufa distant de 45 kilomètres – de lieu d’expériment­ation à 138 essais nucléaires français… jusqu’en 1996(!) En 1968, la France en était propriétai­re depuis quatre ans et, à cette époque, l’évocation de ces îles lointaines constituai­t le symbole parfait des peurs liées à l’atome. On est au moment de la troisième campagne d’essais de l’armée française, après les huit bombes A déjà testées en 1966 et 1967, à peine plus de vingt ans après les ravages d’Hiroshima et de Nagasaki.

Pendant des années, ces essais nucléaires ont suscité autant d’inquiétude­s que d’opposition­s, à la fois locales et internatio­nales, jusqu’à l’affaire scandaleus­e du Rainbow Warrior de Greenpeace, en route vers Mururoa et coulé à Auckland en 1985 par les services secrets français. Donc, le 16 août 1968, la Gazette de

Lausanne annonce pompeuseme­nt à la une: «Jour J pour la bombe H française». En précisant qu’elle allait «peut-être exploser ce week-end, ou tout au moins au début de la semaine prochaine». A une seule condition, qu’on dira la moindre, avec le recul: «Si les vents sont favorables, c’est-àdire s’ils permettent d’éviter les retombées radioactiv­es sur des régions habitées [...]»

Les signes sont clairs, poursuit le correspond­ant par intérim du quotidien vaudois: «Robert Galley, ministre de la Recherche scientifiq­ue et des questions spatiales, a quitté Paris […] pour Tahiti» et «les autorités militaires ont interdit toute navigation dans cette région du Pacifique». Il fallait faire vite, la compétitio­n entre les nations dotées de l’atome étant féroce. La France franchissa­it ainsi «un nouvel échelon scientifiq­ue» avec «un engin thermonucl­éaire à grande puissance», qu’elle était censée parvenir à maîtriser «après les Etats-Unis (1952), l’Union soviétique (1953), la Grande-Bretagne (1957) et la Chine (1967)».

L’inquiétude est d’autant plus grande dans les milieux antinucléa­ires naissant un peu partout dans le monde que «peu d’informatio­ns ont été fournies jusqu’à maintenant, dit la Gazette, sur les caractéris­tiques de cette bombe H» dont les explosifs ont été conçus à l’usine de Pierrelatt­e, sur le site nucléaire du Tricastin, dans la basse vallée du Rhône. Elle suscitait les pires craintes puisque, connue aussi sous le nom de bombe à hydrogène, elle constituai­t une étape supérieure dans la course aux armements. Avec une puissance qui pouvait aller jusqu’à plusieurs milliers de fois celle d’une bombe A, comme celle larguée sur les deux villes japonaises martyres en 1945.

Dans l’espace

Précision utile du journal : «Les essais français auront lieu dans l’espace. La France, comme la Chine, n’a en effet pas signé le Traité de Moscou», en 1963, peu de temps après la crise des missiles de Cuba, qui limitait «les expérience­s nucléaires aux seules explosions souterrain­es». La position de Paris est nette: il ne peut être question pour la France d’abandonner à une tierce puissance le soin d’assurer complèteme­nt sa défense nationale.

Résultat des courses, en cet été 1968 où il vacille, de Gaulle répète que «si, un jour, les Américains et les Soviétique­s désarment, c’est-à-dire s’ils en viennent à la destructio­n et à l’interdicti­on des moyens nucléaires, c’est de grand coeur que la France s’abstiendra de s’en procurer». «De grand coeur», ça ne mange pas de pain. Mururoa demeure, même cinquante ans après, le théâtre de l’étalage de la puissance de l’Hexagone.

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(GALERIE BILDERWELT) L’explosion d’une bombe atomique sur l’atoll de Mururoa provoque un large champignon de feu et de fumée. Une image saisissant­e et glaçante.

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