Le Temps

Anita Protti, le parcours d’une étoile de l’athlétisme helvétique

- ANITA PROTTI LIONEL PITTET t @lionel_pittet Demain: Sergei Aschwanden, un compétiteu­r éternel

«Quand Léa Sprunger a gagné son titre européen, j’ai savouré sa joie. Je n’ai même pas pensé à regarder son chrono pour voir si elle avait battu mon record…»

DESTIN DE CHAMPION (2/5) La Lausannois­e de 54 ans détient toujours le record de Suisse du 400 mètres haies, ainsi qu’une exubérance qui a toujours fait d’elle une personnali­té appréciée du public. Rencontre avec une femme qui a souvent dû se réinventer

Le 29 août 1991, Anita Protti boucle son 400 mètres haies en 54 secondes et 25 centièmes. Cela ne lui vaut que la sixième place des Championna­ts du monde de Tokyo mais depuis, aucune Suissesse n’a couru plus vite. Il y a quelques jours, Léa Sprunger a bien décroché un titre européen inédit dans la même discipline, mais le record de son aînée lui résiste. Pour l’instant.

«Je suis sûre à 99% que Léa va finir par faire mieux que moi. Forcément, cela me fera un petit pincement au coeur. Pour que ce soit clair, sans regret possible, j’aimerais qu’elle efface mon meilleur temps nettement, pas d’un centième ou deux. Mais dans l’absolu, les records sont faits pour être battus, pas vrai? Et, oh, celui-ci tient depuis vingt-sept ans, c’est pas mal. Ma place dans l’histoire restera acquise.»

L’athlétisme suisse n’a jamais oublié Anita Protti, aujourd’hui âgée de 54 ans. Le grand public non plus. Chaque fois qu’une autre «hurdleuse» semble en mesure de s’approcher du chrono qu’elle a réalisé sur le tartan japonais, il se trouve des journalist­es pour l’appeler et faire revivre son exploit.

L’intéressée joue le jeu avec plaisir: les médias l’ont toujours traitée avec bienveilla­nce. Peut-être parce qu’elle a toujours traité les médias avec bienveilla­nce. Disponible, ouverte, attentive, elle se raconte en long, en large et en petits travers. «Parfois, j’en ai trop dit, estime-telle. J’essaie désormais de me protéger un peu, de garder certaines choses pour moi.» Même si, cela se sent, elle brûle de parler sans filtre aucun, comme s’il ne s’agissait pas d’une interview mais d’une rencontre entre potes, à refaire le monde en terrasse autour d’un thé froid maison (et son shot de jus de gingembre).

Lausannois­e de naissance et de coeur, l’ancienne athlète a donné rendez-vous au Pointu, un établissem­ent branché du centre-ville. A gauche, un couple anglophone enchaîne les pintes d’Indian Pale Ale. A droite, deux hipsters règlent les derniers détails d’un projet de livre photograph­ique. Entre deux, Anita Protti, qui a lissé ses cheveux mais pas sa personnali­té, savoure. «Lausanne a bien changé… Quand j’étais jeune, beaucoup sortaient à Genève faute d’une vie locale excitante. Maintenant, il y a sans arrêt de nouveaux restaurant­s, plein de bars animés, et culturelle­ment, il se passe beaucoup de choses. Je n’en profite sans doute pas assez…»

«Profiter», cela n’a jamais été son truc. Elle s’est toujours dévouée au service de quelque chose, ou de quelqu’un. Jusqu’à l’apogée de sa carrière sportive, elle fut tout entière concentrée sur sa progressio­n personnell­e. Dès 1992, perturbée par des blessures à répétition aux tendons d’Achille, elle a découvert la discipline toute particuliè­re de la convalesce­nce, «et tout ce qu’il est possible d’essayer pour se rétablir». Jusqu’à comprendre qu’elle ne retrouvera­it pas son meilleur niveau.

Auprès de ses proches

Lassée, elle décide en 1996 de tourner la page. Enceinte, elle entame une nouvelle vie à Zurich avec son mari, le journalist­e Marc Walder, aujourd’hui président et directeur général de Ringier. Un divorce plus tard, elle revient dans sa ville natale avec sa fille Coralie, à laquelle elle se consacrera à corps perdu.

Plus tard et plus tragiqueme­nt, Anita Protti s’occupera pendant trois ans de sa mère, gravement malade, jusqu’à son décès en 2011. Elle reproduira le douloureux exercice au service de celui qu’elle appelle son beau-père, même si sa mère et lui n’étaient pas mariés. Le couple vivait dans le même immeuble qu’elle, à l’étage en dessous. Aujourd’hui, elle cherche à déménager pour tourner la page de ces épisodes éprouvants qui furent «autant des besoins que des devoirs» pour une femme qui, lorsqu’elle s’investit, ne sait pas «faire dans la demi-mesure».

Sur le plan profession­nel, Anita Protti s’est beaucoup cherchée au bout de sa carrière sportive. «J’avais une trentaine d’années et je ne savais pas ce que je voulais, se souvient-elle. L’idée classique, c’est de faire jouer sa notoriété pour trouver du travail. J’ai bien essayé de toquer à une porte dans cet esprit, et on m’a bien accueillie, mais quand on m’a demandé ce que je me proposais de réaliser… Je n’avais rien à répondre.»

Anita, Lara, Timea

Alors, elle a fonctionné à tâtons. Elle s’est formée pour devenir instructri­ce de fitness, puis de spinning. En l’an 2000, elle a lancé avec son compagnon de l’époque une société qui proposait des vacances actives encadrées par des célébrités du sport et de l’humour. Financière­ment, l’activité n’était pas des plus rentables mais l’ancienne athlète avait davantage besoin de remplir son emploi du temps que son porte-monnaie, et elle s’y épanouissa­it. Mais lorsque le couple s’est séparé en 2004, aucun des partenaire­s n’a souhaité continuer l’aventure seul et Anita Protti s’est retrouvée à devoir se réinventer un quotidien.Une nouvelle fois dans les starting-blocks, sans trop savoir où mène la piste.

En 2012, elle a décidé de revenir au métier de ses débuts, employée de commerce. Elle a suivi des cours d’informatiq­ue et travaille aujourd’hui à 70% comme assistante administra­tive au sein de la structure Emploi Lausanne. Mais partout, dans la rue comme au téléphone, au seul son de sa voix, des gens continuent de la reconnaîtr­e et de la ramener au temps du sport d’élite. «Cela ne me dérange jamais, car je ne récolte que des éloges», témoigne-t-elle. Elle assure que son exubérance cache un certain manque de confiance en elle. Mais elle est consciente qu’elle lui vaut sa popularité, et avoue qu’elle «aime être aimée».

Sa fraîcheur et son franc-parler, autant que ses cheveux blonds, évoquent la skieuse Lara Gut, ou la joueuse de tennis Timea Bacsinszky. Elle rigole. «Mon beaupère disait pareil: «Lara, Timea, c’est la même chose qu’Anita.» Pour le côté solaire, pour l’énergie qu’on dégage, oui, peut-être, je peux voir des similitude­s avec elles.»

Et avec Léa Sprunger? «C’est forcément particulie­r pour moi de la suivre, car elle évolue dans mes discipline­s et je sais l’investisse­ment que cela représente d’arriver à son niveau. Quand elle a gagné son titre européen, j’ai savouré sa joie. Je n’ai même pas pensé à regarder son chrono pour voir si elle avait battu mon record…»

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(CARINE ROTH POUR LE TEMPS)

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