Bienvenue en Géorgie, royaume de la cryptoéconomie
La Géorgie s’est spécialisée dans le minage en tirant avantage du faible coût de l’électricité. Particuliers et entrepreneurs sont attirés par des gains rapides, mais aussi par la promesse libertarienne d’une économie débarrassée de l’Etat
De nombreux Géorgiens se sont lancés dans le minage de cryptomonnaie, souvent avec les moyens du bord. «Le principal essor du minage coïncide avec l’arrivée sur le marché en 2015 de la deuxième cryptomonnaie: l’ethereum», note Alex Sudadzé (au centre), fondateur de Bitcoin Embassy Georgia. Environ 10 à 15% de la consommation d’électricité du pays sont dédiés au minage.
La géographie des cryptomonnaies recèle des surprises. La Bitcoin Foundation est basée à Washington, celle de la deuxième cryptomonnaie, l'ethereum, à Zoug. Ces devises électroniques sont principalement utilisées dans les pays du Nord, mais aussi au Nigeria ou en Asie du Sud-Est. Pas d'échanges monétaires sans «minage»; ce secteur est dominé par la Chine et non loin derrière se trouve la Géorgie.
D'après deux rapports de l'Université de Cambridge et de la Banque mondiale, la petite nation caucasienne de 4 millions d'habitants figure dans le top 5 mondial concernant le minage de cryptomonnaies. «Nous sommes même sûrement le premier pays en termes de minage par habitant», affirme avec fierté Vano Narimanidzé, fondateur de l'association Blockchain Georgia.
Serveurs très gourmands en énergie
Le minage est une opération qui consiste à valider et à authentifier une transaction effectuée en cryptomonnaie, il est récompensé par l'attribution d'une petite somme de cette devise électronique. Miner requiert des calculs informatiques complexes et nécessite donc des serveurs puissants et très gourmands en énergie. Deux facteurs sont propices au minage: un climat frais et un prix de l'électricité bas.
«Les étés sont chauds mais l'énergie est bon marché», indique Vano Narimanidzé. Le tarif pour les consommateurs tourne autour de 9 centimes de franc le kWh et il peut descendre pour les entreprises basées dans les zones franches jusqu'à 5 centimes. Ces prix modiques sont un héritage de la période soviétique, ils sont aussi liés à la prépondérance de la production hydroélectrique dans le mix énergétique national.
L'intérêt pour la crypto-économie s'accroît à partir de 2014 avec l'installation médiatique de la multinationale Bitfury qui, avec l'appui du gouvernement géorgien, bâtit deux gros data centers dédiés au minage. Les données statistiques pour analyser le phénomène sont limitées, mais la Banque mondiale estime que 10 à 15% de la consommation d'électricité du pays sont dédiés au minage et que 5% des ménages sont actifs dans le minage ou l'échange de cryptomonnaies.
«Le principal essor du minage coïncide aussi avec l'arrivée sur le marché en 2015 de la deuxième cryptomonnaie: l'ethereum», note Alex Sudadzé, fondateur de Bitcoin Embassy Georgia. Entre 2015 et fin 2017, le boom des cryptomonnaies touche tous les secteurs de la société. Beaucoup voient dans le bitcoin et l'ethereum la possibilité de s'enrichir rapidement alors que le chômage et le sous-emploi constituent des problèmes structurels de l'économie géorgienne. Le revenu mensuel moyen par foyer atteint 300 francs.
«De nombreux groupes Facebook en géorgien se sont créés pour aider les gens à comprendre comment fonctionne cette industrie, indique la journaliste spécialisée Nino Bakradzé. Même ceux qui n'avaient pas les moyens d'acheter des équipements informatiques pouvaient regarder des publicités sur certains sites pour gagner un peu de cryptomonnaie.» D'autres un peu plus fortunés acquièrent des cartes graphiques appelées «mineurs» et les installent dans leur logement. De nouvelles entreprises émergent et font appel à des investisseurs locaux ou étrangers pour bâtir des fermes de minage de taille industrielle.
Excès et controverse
Mais cette explosion du minage connaît des excès et suscite la controverse. Certains politiciens d'opposition tente de lancer une polémique autour de la faible hausse des prix de l'électricité en l'imputant au minage. Fin 2017, ce sont des syndicalistes qui s'inquiètent quand une importante usine produisant du sucre ferme ses portes pour, selon leurs informations, se reconvertir en ferme à bitcoins.
Finalement, la production de sucre a repris en juin, une décision peut-être motivée par la chute du cours du bitcoin et de l'ethereum? L'éclatement de la bulle autour des principales cryptomonnaies entre fin 2017 et début 2018 a poussé de nombreux acteurs à se retirer du marché. «Certaines start-up ont fait faillite juste après leur lancement», affirme Eralp Hatipoglu, investisseur turc basé à Tbilissi qui a fondé en 2017 l'entreprise Mining Center Georgia. «Le boom est derrière nous et nous n'avons pas encore rentabilisé notre investissement, mais je pense que les prix vont de nouveau augmenter dans les mois qui viennent», analyse son associé, Beka Kemertelidzé, avec optimisme.
«C'est bien de filtrer les gens qui pensaient pouvoir s'enrichir rapidement, relativise pour sa part Vano Narimanidzé. En agissant intelligemment, il est toujours possible d'avoir une activité rentable, notamment en minant de l'ethereum. Je connais plusieurs personnes dont c'est devenu l'unique occupation, pour les autres c'est un revenu additionnel.»
Séparation entre Etat et monnaie
En Géorgie, cet engouement pour la crypto-économie prospère aussi sur la défiance envers l'Etat causée par le rejet de l'expérience communiste et des régimes souvent corrompus qui ont succédé.
«L'idée principale du bitcoin est la séparation entre l'Etat et la monnaie; contrairement à la Suisse, ici nous n'avons pas de garanties que demain le gouvernement ne va pas utiliser le pouvoir de contrôler l'argent contre ses opposants politiques», soutient l'entrepreneur Zurab Kerdzevadzé, citant en exemple le régime de Mikhaïl Saakachvili (2004-2013).
«C'est un mouvement de libération, un mouvement pour protéger notre vie privée, mon argent est à moi!» lance avec conviction le fondateur du site d'échange de bitcoins Coinmania.ge, qui ne cache pas son adhésion aux thèses libertariennes. Ce courant politique hostile à l'Etat a de nombreux sympathisants en Géorgie, dans les cercles économiques ainsi que dans la jeunesse.
Girchi, le petit parti libertarien créé en 2015, va présenter un candidat à l'élection présidentielle du 28 octobre prochain. Il a le projet de transformer l'économie géorgienne grâce au G-Coin: une nouvelle cryptomonnaie qui serait distribuée équitablement entre tous les citoyens pour leur permettre de participer à la vente aux enchères des terrains appartenant à l'Etat: «Si cela marche, nous pouvons au minimum tripler notre produit intérieur brut», prédit Hermann Szabo, le responsable du projet.
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