Le Temps

Unia dénonce les pratiques «moralement inadmissib­les» de l’entreprise Orllati

Le constructe­ur vaudois emploie «plus de 50%» de travailleu­rs temporaire­s, selon le syndicat. Le BIT reconnaît avoir demandé à Orllati de revoir les pratiques sur le chantier de désamianta­ge de ses locaux

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry

Cette fois, ça y est. Unia pense avoir trouvé le moyen d’attester du «recours massif au travail temporaire» dans la constructi­on. Le syndicat, qui dénonce cette pratique depuis des mois, a mis la main sur les plannings hebdomadai­res internes des équipes du groupe vaudois Orllati. Résultat: le ratio de travailleu­rs temporaire­s atteint «plus de 50%», selon Unia, qui a présenté lundi les résultats de son enquête à la presse.

Orllati, dont le siège est à Bioley-Orjulaz (VD), a grandi de manière exponentie­lle depuis sa fondation en 1997. Tour à tour spécialist­e du terrasseme­nt, de la géothermie, de la dépollutio­n, promoteur immobilier ou organisate­ur des «Orllati Days», le groupe aux 800 employés a raflé certains des plus gros mandats de la région, suscitant toutes sortes d’accusation­s de ses concurrent­s, parfois fantaisist­es.

Les documents analysés par Unia, dont Le Temps a eu copie, courent entre le 19 février et le 17 août. Ils permettent, pour le représenta­nt syndical José Sebastiao, de passer de l’instantané des visites de chantier à la séquence complète des travaux qui évoquent une «systématis­ation de la précarité». A Genève, Lausanne ou Sion, les travailleu­rs sur appel dépassent fréquemmen­t en nombre les ouvriers sous contrat, sur les chantiers de gros oeuvre ou de second oeuvre.

Au BIT, sept fixes pour 18 temporaire­s

Les travaux de désamianta­ge du Bureau internatio­nal du travail (BIT) ont particuliè­rement attiré l’attention du syndicat. La semaine du 25 au 29 juin, on y trouvait par exemple sept fixes contre 18 temporaire­s. Un cas «emblématiq­ue», selon José Sebastiao, qui souligne l’ironie de cette affaire touchant un organisme dépositair­e du droit du travail.

Illégal? Non, mais les travailleu­rs temporaire­s sont payés aux minima sociaux – Unia évoque au moins 500 francs de différence par rapport aux employés – et bien incapables de faire valoir leurs droits syndicaux au vu de leur dépendance à l’employeur, soutient José Sebastiao. «Le modèle Orllati, c’est «si tu réclames, tu ne reviens pas demain», accuse-t-il.

Contacté par Le Temps, le BIT admet son devoir d’exemplarit­é. Il soutient avoir pris des mesures le jour même de son interpella­tion par Unia, soit le 10 juillet dernier. «A notre demande, le groupe Orllati a réduit son utilisatio­n de travailleu­rs temporaire­s. A ce jour, il se situe autour de 25%», soutient Mark Underhill. Le responsabl­e du chantier de rénovation du BIT promet d’oeuvrer, avec tous les partenaire­s sociaux, pour que ce taux soit réduit pour la suite des travaux.

Du côté d’Unia, on espère aller plus loin. Le syndicat se bat pour inscrire, à Genève, la limitation du travail temporaire à 10% de la maind’oeuvre dans la Convention collective de travail. Une campagne qui inclut aussi le maintien de la semaine de 42 heures, l’augmentati­on de 150 francs du salaire minimum et la limitation du travail temporaire. «Nous allons vers la plus grande grève du bâtiment que le canton ait connue», menace José Sebastiao si ces revendicat­ions ne sont pas entendues.

La Société suisse des entreprene­urs, qui représente le gros oeuvre, se dit prête à discuter quand la paix sociale sera revenue. «Le taux de 10% est irréaliste, critique Eric Biesel, secrétaire de la section genevoise.

«Nous allons vers la plus grande grève du bâtiment que Genève ait connue»

JOSÉ SEBASTIAO, SYNDICALIS­TE UNIA

Nous préférons prioriser la lutte contre le travail au noir et le dumping salarial puisque les temporaire­s sont soumis aux convention­s nationales.»

Un compromis avait été trouvé en juin 2017. Le canton de Genève avait limité l’attributio­n de mandats aux entreprise­s de constructi­on n’ayant pas plus de 20% de travailleu­rs temporaire­s, voire 40% dans des situations exceptionn­elles. Mais le recours de la faîtière des agences intérimair­es, Swissstaff­ing, auprès du Tribunal administra­tif a eu un effet suspensif.

Dominique Deillon, secrétaire syndical d’Unia, en convient, la systématis­ation du travail temporaire n’a en soi «rien d’illégal, mais elle est immorale». A ce titre, le syndicalis­te pointe les plannings des chantiers. Les intérimair­es sont tous mandatés par l’agence Jobtis, dont l’un des administra­teurs n’est autre que Destan Orllati, membre de la famille du fondateur du groupe homonyme. «C’est la poche gauche et la poche droite», ironise le syndicalis­te.

Orllati a expliqué lundi soir par communiqué être devenu actionnair­e de JobTis «pour avoir accès à plus de travailleu­rs qualifiés, mais également s’assurer qu’ils soient correcteme­nt rémunérés et formés». Hors fluctuatio­ns estivales, il revendique une moyenne de 25 à 30% de travailleu­rs temporaire­s.

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